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Lors de son audience de prise de congé auprès de Louis XIV, en 1682, l’ambassadeur dépêché par le sultan du Maroc Moulay Ismaïl hadj Mohammed Si Témim eut un franc succès en souhaitant : « que le Ciel veuille donner un jour toute l’Afrique au sultan mon maître et à Votre Majesté toutes les autres parties du monde. » Que voilà de belles dispositions d’esprit, annonçant peut-être un nouveau pas en avant très amical de Moulay Ismaïl. Dix-sept ans plus tard, en effet, il demande en mariage Marie-Anne de Bourbon, princesse de Conti, la fille légitimée de Louis XIV et de Louise de la Vallière. Fi ! Ces barbares mauresques ne doutent de rien ! Refus, bien sûr. Toutefois tempéré par l’offrande faite au sultan de quatre horloges comtoises, qui encadrent encore de nos jours sa tombe dans le mausolée de Meknès. Le message était clair : « vous pouvez toujours attendre… »
Cette anecdote illustre bien le profond déséquilibre qui présidait déjà aux relations entre ces deux pays. Certes, Moulay Ismaïl a impressionné par l’énergie qu’il a déployée pendant sa vie entière, autant à guerroyer en son royaume pour en réaliser l’unité – les révoltes, complots et révolutions de palais en tous genres ont abondé durant tout son règne – qu’à lutter en permanence contre les appétits européens exacerbés en cette période précoloniale, où il s’agit déjà de prendre position, de s’emparer de territoires intéressants.
Et le Maroc en est un. Pourquoi « l’île du Couchant » ? Simplement parce que pays du Maghreb est situé le plus à l’ouest. Il est bordé sur trois de ses faces par une mer intérieure (dont il contrôle d’ailleurs avec l’Espagne l’unique détroit), un océan liquide qui ouvre sur le grand large et un autre océan, de sable cette fois, que traversent toutes les caravanes chargées de ces merveilles dont raffolent les Européens : faune, flore, métaux et matières précieuses (ivoire) épices etc. Il aurait pu y avoir les esclaves aussi, mais cette « matière première là », les Européens iront la chercher à la source, en établissant des comptoirs tout au long des côtes de l’Afrique.
Sur le plan stratégique, le Maroc est intéressant pour Louis XIV occupé toute sa vie à guerroyer contre les puissances européennes. Alors, que Moulay Ismaïl entre en conflit avec l’Angleterre (à propos de Tanger) ou avec l’Espagne ou le Portugal, parfois amis, parfois ennemis récurrents du Maroc comme de la France, cela ne peut que servir les intérêts de cette dernière en période d’hostilités. C’est un peu la même idée qu’avec « la Sublime Porte », sous François Ier.
Seulement voilà : les corsaires du sultan basés à Salé occasionnent de grands dommages aux vaisseaux français. Lesquels, de leur côté, ont capturé et entassé des centaines de marocains sur les galères de Sa Majesté. Pas question de les libérer. Ces captifs sont le moteur de la Réale, vaisseau amiral, et de ses sœurs. Voilà pourquoi, en dépit de tous les intérêts convergents et des grandes démonstrations d’amour éternel, jamais aucun traité de paix ne sera ratifié entre les deux grands souverains.
Mais Moulay Ismaïl n’est pas resté dans l’histoire du Maroc pour ses seules réalisations guerrières ou diplomatiques. À l’instar du Roi Soleil, il fut aussi un grand bâtisseur, transformant la modeste petite ville fondée au XIe siècle par les Almoravides en une splendide cité impériale : Meknès, dont il fera sa capitale du début de son règne (1672) jusqu’à sa mort (1727). Très différente des trois autres villes marocaines, moyenâgeuses, qui ont abrité le pouvoir central (Fès, Marrakech et Rabat) Meknès impressionne par ses proportions, son ambition, son enceinte fortifiée… Finalement un peu comme la bourgade de Versailles s’est métamorphosée par la seule volonté royale en une vitrine de la puissance et de l’excellence architecturale de la France. Autre parallèle possible entre ces deux grands souverains.
C’est tout cela qu’évoque Gilbert Sinoué dans son livre. Et il le fait en mêlant la grande histoire, et le regard d’un personnage créé par lui, Casimir Giordano, un médecin français captif qui devient le médecin attitré du sultan. Bien placé pour observer les grands événements du règne, Giordano les raconte, depuis l’avènement de Moulay Ismaïl jusqu’à sa mort, le 20 mars 1727.
« L’île du Couchant » n’est que le premier tome de cette histoire partielle du Maroc. Un deuxième opus est annoncé. Il couvrira la période d’instauration du Protectorat. Il y a d’ailleurs une grande logique historique à cette démarche puisque – nous l’avons vu – avec le règne du fondateur effectif de la dynastie alaouite s’annonce la période coloniale. Un ouvrage que nous lirons également avec le plus vif intérêt.

Guillaume SANCHEZ
articles@marenostrum.pm

Sinoué, Gilbert, « L’île du couchant », Gallimard, « Blanche », 03/06/2021, 1 vol. (290 p.), 20,00€

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