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Durand, Corentin, L’inclinaison, Gallimard, 25/08/2022, 1 vol. (289 p.), 20€

Bien des auteurs ont développé l’idée qu’il n’est de chemin plus difficile que celui qui mène à soi, particulièrement dans l’encore feu de la jeunesse. Avec une incontestable maîtrise, bluffante pour un premier roman, Corentin Durand creuse le sillon de la quête du moi profond au travers du tout jeune héros de son roman L’inclinaison.

Comme nombre de ses congénères de la génération millénaire, ces jeunes adultes d’aujourd’hui, nés autour de l’an 2000, notre héros cherche à donner un sens à sa vie. Dans une société atone et aseptisée où le paraître prend à chaque instant le pas sur l’authenticité, il traîne tout d’abord ses guêtres dans le Paris des boîtes de nuit branchées et des petits trafics sans envergure. Il y deale une drogue de synthèse que des petits voyous l’aident à écouler en même temps qu’ils l’accueillent au sein d’un groupe dont les journées s’étirent entre plans foireux et joints surnuméraires. Une individualité en émane pourtant, un jeune homme surnommé le Bleu et avec qui va se nouer une relation trouble entre fausse amitié virile et inavouable attirance amoureuse.

Car au désenchantement générationnel, le personnage principal du roman qui en est aussi le narrateur, ajoute le refoulement d’une homosexualité sous-jacente et qu’il ne laisse s’exprimer que dans une certaine forme de soumission voire de violence. À ce propos, il dit : « Je n’avais jamais, je crois, exprimé à haute voix ce qu’il en était de mon rapport à cela. Tout, depuis longtemps, s’était joué à l’intérieur de mon esprit sans que j’aie à en passer par la parole. J’étais resté, en vérité, l’adversaire de toute clarification ». Cette inclinaison enfouie au plus profond de son être, cette différence d’abord inavouable à lui-même constitue aussi la barrière infranchissable qui le sépare d’une famille où elle s’avère d’autant plus taboue qu’André, oncle désormais disparu et auquel « il ressemble tant », l’a déjà expérimentée avant que de mourir de la maladie dont on préfère taire le nom.

Au travers de son héros et de sa quête introspective, l’auteur engage une réflexion profonde sur l’homosexualité, sur l’évolution de sa perception au travers du temps, sur la difficulté qui demeure, encore aujourd’hui, à la vivre pleinement alors que tant de combats ont déjà été menés et que tant de générations successives ont cru lever de décisives révolutions. Au travers du personnage d’André, un focus particulier est mis sur la génération des années quatre-vingt, celle des années SIDA qui, malgré la maladie ou peut-être à cause d’elle, a vécu sa sexualité libérée dans une sorte de transe, au rythme de l’électronique tempo de Bizarre love triangle, chanson du groupe New Order, véritable bande originale du roman.

En suivant le Bleu sur la côte méditerranéenne espagnole, le jeune homme va découvrir les stations balnéaires bétonnées et hideuses au sein desquelles, sous couvert de tapageur et ostentatoire affichage, la communauté gay ghettoïsée joue à se croire libre alors qu’elle ne fait que transporter ailleurs ses chaînes et ses caricatures. Au gré de jolies rencontres, il y fera également quelques incursions vers la beauté, le désir et la sérénité, incursions qui le rapprocheront un peu plus de lui-même à l’échelle d’une unique saison décisive dont il dira : « Après tout, n’avais-je pas moi aussi consumé en un été ce qu’il me restait de jeunesse ».

Coup d’essai, coup de maître, Corentin Durand nous livre un premier roman remarquable qui entremêle plusieurs histoires, plusieurs époques différentes au travers de personnages profonds, tous portés par une énergie qui ne se dément pas à mesure que l’on tourne avidement les pages. Histoires, personnages, talent et érudition de l’auteur sont mis au service d’une pensée approfondie et argumentée qui invite à la réflexion et nous rend déjà impatients de découvrir les futurs opus d’un auteur prometteur et talentueux.

Image de Chroniqueur : Alain Lllense

Chroniqueur : Alain Lllense

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