Durand, Thomas C., Dieu, la contre-enquête, Humensciences,
31/08/2022, 1 vol, 20,90€.
En octobre 2021, la publication aux éditions Trédaniel du volumineux essai, Dieu, la Science, les Preuves connaissait un large écho médiatique. Les auteurs, Olivier Bonnassies et Michel-Yves Bolloré y affirmaient que la science, que l’on avait si longtemps opposée à la religion était désormais devenue « la meilleure alliée de Dieu ». S’appuyant sur des témoignages d’experts et les dernières découvertes scientifiques, l’ouvrage ambitionnait de révéler les preuves modernes de l’existence de Dieu – Dieu qui, par chance pour ces fervents catholiques, se trouvait aussi être celui de la Bible… Le succès ne s’est pas fait attendre : 70 000 exemplaires écoulés en seulement deux mois et en août 2022, le livre figurait encore à la 15e place du classement hebdomadaire de l’Express, dans la catégorie essai…
La science comme soutien à la foi ?
C’était pourtant un curieux projet que de chercher à démontrer ce qui a longtemps été, une question de foi et non de raison. Comme le rappelle Thomas Durand on adhère rarement à une religion après avoir testé la validité scientifique de ses prétentions. Chez la majorité des croyants, la religion est affaire de culture et de transmission familiale. « La croyance en Dieu ne trouve pas son origine dans l’exercice de la raison, mais elle y puise sa justification a posteriori, elle en nourrit sa narration, sa rationalisation. Cela ne la rend pas rationnelle pour autant ».
Thomas Durand vient de publier une passionnante « contre-enquête » dans laquelle il revient méthodiquement sur les principales « preuves » brandies par MM. Bolloré et Bonnassies ainsi que sur les arguments traditionnellement avancés par les apologètes afin de justifier l’existence de Dieu. L’auteur, docteur en biologie végétale est une figure bien connue de la communauté sceptique sur Internet. Sa chaîne YouTube « La Tronche en biais » invite les internautes à développer leur esprit critique en prenant notamment conscience des nombreux biais cognitifs qui parasitent nos jugements. On retrouve dans son dernier essai, la même pondération et le même souci pédagogique qui caractérisent son travail de vidéaste, sans oublier des petites touches d’humour et des anecdotes qui en rendent la lecture facile et très agréable.
Une authentique démarche de sceptique
Dieu, la contre-enquête n’est pas un pamphlet pourfendant la religion et promouvant l’athéisme mais bel et bien une argumentation nuancée qui fait un état des lieux plutôt exhaustif d’un sujet que l’on évite trop souvent d’analyser en profondeur, au nom du « respect des religions ». En préambule, on peut lire une citation de Salman Rushdie qui déclarait après les attentats de 2015 : « Les religions, comme toutes les autres idées, méritent la critique, la satire et, oui, notre téméraire irrespect ». Cet irrespect, l’auteur y insiste bien, s’applique aux idées et non à ceux qui les professent. Trop souvent, des extrémistes s’identifient à un tel degré à leur croyance qu’ils considèrent les moindres critiques, même argumentées, comme des attaques personnelles. Thomas Durand, en tant que sceptique, met un point d’honneur à traiter la question « Dieu » comme n’importe quelle autre hypothèse. Il ne s’en prend pas aux croyants en tant qu’individus mais remet en question la validité même de leur croyance. Pour ce faire, il applique la méthode scientifique dans l’ordre qui est normalement le sien : d’une hypothèse à une théorie en passant par la validation de l’expérience. Ainsi, pour le scientifique, il n’y a jamais de vérités absolues mais seulement des modèles de pensée probables, pouvant à tout moment être remis en question suivant l’avancée des découvertes. C’est le contraire de la démarche des apologètes qui en cherchant à « rapprocher la science et la foi ne le font pas pour tester leurs hypothèses mais pour confirmer ce qu’ils croient ».
Le souci de la définition
Albert Einstein, que certains ont cherché à faire passer pour un croyant malgré ses multiples dénégations, a dit : « Définissez-moi d’abord ce que vous entendez par Dieu et je vous dirai si j’y crois ». La question de la juste définition des termes se trouve à la source de toute investigation scientifique digne de ce nom. Quand on parle de Dieu, parle-t-on de la figure humanoïde des monothéismes, de la Nature, d’un principe créateur que l’on pourrait assimiler au Big Bang ? De même, que faut-il entendre exactement par athéisme ? Agnosticisme ? Thomas Durand opère de subtiles distinctions et propose même de nouveaux concepts comme celui de « négathéisme ». Il démontre que l’athéisme n’est pas une croyance comme une autre, mais plutôt une position définie par défaut vis-à-vis d’une norme historiquement favorable à la religiosité.
Ayant ainsi cerné son sujet, l’auteur examine l’une après l’autre les prétendues « preuves » de l’existence de Dieu, en mettant en relief les contradictions logiques et les biais cognitifs qui les sous-tendent. Il revient notamment sur la théorie du « réglage fin de l’univers » qui postulerait la nécessité d’un créateur, s’interroge sur ce que disent réellement les textes sacrés que beaucoup invoquent sans les avoir jamais lu de façon critique, ou encore s’intéresse à la question des miracles, en enquêtant sur les apparitions mariales de Fatima en 1917.
En finir avec les vertus supposées de la foi
Dieu, la contre-enquête est un ouvrage nécessaire et intellectuellement très stimulant pour ceux qui croient comme pour ceux qui doutent. Il permet de tordre le cou à certaines idées reçues comme quoi la religion rendrait les hommes meilleurs. Bien des violences ont été commises et continuent à s’exercer au nom de la foi. Les exemples sont légion dans les manuels d’histoire. Aujourd’hui encore, dans de nombreux pays, les athées sont persécutés voire assassinés par des religieux extrémistes. Thomas Durand nous invite à faire preuve en toutes circonstances d’un esprit critique salvateur et à « remettre en cause l’idée à la mode en Occident que la religion serait la victime d’un mouvement rationaliste oppressif ». Il faut en finir avec la connotation toujours positive et souvent un peu romantique associée à la foi.
Valoriser cela sans nuance, c’est se ranger du côté de toutes les superstitions, de la pensée magique, de l’obstination contre les faits, du rejet de la méthode, des galimatias gouroutisants, des promesses démagogues et des élans intégristes, c’est se livrer corps et biens au bon vouloir de cyniques manipulateurs ou de sincères illuminés dont la ferveur ne saurait remplacer la prudence, l’autocritique, le goût d’argumenter les pour et les contre.
Chroniqueur : Jean-Philippe Guirado
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