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Isabelle Ludovic de Lys, L’Indochine dans la peau, MVO Éditions, 20/03/2025, 495 pages, 25€

Rarement le titre d’un livre n’aura exprimé autant la vérité que celui-ci. Jean Lartéguy l’avait déjà ciblé dans son roman « Le mal jaune ». Un spleen indéfinissable s’empare de la victime et l’enserre de ses tentacules pour s’agréger lentement mais sûrement à elle. Il n’y a pas de moyens de s’en défaire ; il faut vivre avec et s’y accoutumer.

Isabelle Ludovic de Lys a « l’Indochine dans la peau. » Vous pouvez me croire sur parole ! Survivante enjouée d’un passé colonial dont ses ancêtres ont été acteurs, elle joue avec passion de ses origines pondichériennes avec les récits de ses proches, père et grand-père, proies des envahisseurs japonais dans une Indochine qui vit ses derniers instants de quiétude, entre lenteur des jours et parfums entêtants. La Perle de l’Empire a eu sur elle cet effet, non pas dévastateur mais empreint d’une nostalgie obstinée.
Après une carrière en métropole, au cours de laquelle elle s’est gavée des aventures héroïques de nos soldats enlisés dans un conflit dont ils n’avaient pas mesuré l’intensité, Isabelle a décidé d’y voir de plus près et s’est rendue plusieurs fois au Tonkin, pour sentir elle-même l’ambiance des champs d’honneur où ont été engloutis des milliers de jeunes au cœur pur et à la volonté d’acier. Chez elle, dans l’Aude, elle s’est fait un devoir de ressusciter la mémoire salie des marsouins parachutistes, des tabors marocains, des légionnaires et de tous les combattants autochtones indochinois qui luttaient sans contrepartie à nos côtés. De ce combat de tous les jours, elle en a fait ce roman, le premier. Est-ce également une forme de thérapie ? Nous le pensons et l’approuvons.

Isabelle s’y connaît. Dans son écrit, elle mêle des situations savamment étudiées à la tragédie de l’être humain, elle emploie un vocabulaire tout droit sorti de son immense connaissance sur la guerre d’Indochine mais surtout sur la dualité de l’homme… et de la femme.
Markus sort vivant d’une vie fracassée. Officier autrichien mobilisé dans la Luftwaffe durant la Seconde Guerre mondiale, il a perdu son père et son frère au combat sur le front russe avant de voir disparaître sa mère et sa sœur dans les bombardements alliés. Comme nombre de ses compatriotes, il a erré sans but avant de trouver une raison de rester en vie. Il a franchi les portes de la Légion étrangère qui s’est empressée de l’accueillir pour l’envoyer vivre une autre guerre, en Extrême-Orient.
Juliette a perdu également ses parents dans le conflit. Surdouée et munie d’un tempérament batailleur, elle se destine après son bac à devenir médecin. La rencontre fortuite de ces deux humains que tout oppose va les faire basculer, grâce à l’appui sans faille de la fraternité d’arme, dans les griffes du plus puissant des sentiments : l’Amour.

Bien que l’ouvrage commence par la fin – une fin possible – Isabelle nous fait revenir en arrière, en octobre 1950. Le commandement a décidé le retrait des garnisons de la ville de Cao-Bang, terminus de la RC 4, la Route Coloniale 4, qui longe une Chine désormais acquise aux communistes. Ce chemin, mal goudronné, serpente dans des vallées parmi les plus belles du monde. De loin en loin, des postes isolés constituent la seule défense de la région. Ceux-ci, défendus par des hommes d’élite, croulent sous le nombre croissant des assauts du Viet-Minh. Une opération d’envergure est déclenchée dans le but d’évacuer les soldats mais également les indigènes terrorisés par les exactions des Bo-Doï. Markus et Juliette sont séparés par les multiples escarmouches sanglantes au cours desquelles près de six mille combattants vont disparaître, engloutis après des duels héroïques mais inconnus de tous. Juliette a pu s’en sortir, par miracle. Markus, avec des centaines de ses camarades, grièvement blessé, fait maintenant partie des colonnes de Tu-Bin (prisonniers) que le Viet-Minh a décidé de ne pas ménager. Au cours des marches forcées harassantes, après des travaux insensés, des punitions sadiques, la masse des vaincus fond deux fois plus rapidement que les pires camps de concentration nazis.
Markus survit pendant quatre longues années avec un groupe de frères d’arme disparate au possible. Driss le tirailleur marocain, Antoine le marquis, Hans le légionnaire et le « toubib ». Ils ne se quitteront plus.
Un miracle survient en 1958, Juliette, désormais médecin et Markus, officier dans la Légion, se retrouvent fortuitement après huit ans de séparation. Tous deux traînaient leur malheur, persuadés de ne jamais retrouver leur amour, disparu à That-Khé. Avec l’aide de leurs amis, ils vont réapprendre à s’aimer, à se supporter et à éduquer le fruit de leur passion et les nombreux petits mioches adoptés au cours des multiples missions extérieures accomplies par l’un et par l’autre. En effet, Juliette, pour être près de son Markus, a intégré l’institution militaire comme médecin-major.
Nos amoureux éternels vieillissent, leurs enfants grandissent. Inextricablement mêlés à leurs compagnons de combat, ils réinventent à coups de malheurs et de bonnes nouvelles, une vie polie par l’amitié sans faille et les épreuves surmontées.

Isabelle Ludovic de Lys, à travers les lignes émouvantes de son « roman », nous livre une leçon de vie émouvante, pleine de péripéties et d’apprentissage de l’existence. Avec elle, l’adversité peut toujours être vaincue.

Image de Chroniqueur : Renaud Martinez

Chroniqueur : Renaud Martinez

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