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C‘est un court roman, paru ce printemps 2021, qui a fait connaître le nom de Laura Iapadre, toute jeune autrice diplômée en sciences de la communication et de l’information.
Uma racontait, en quelques dizaines de pages, le voyage en Inde de Léna, blessée par une rupture sentimentale. Elle va trouver dans cet univers si différent du sien, maturité et résilience.

Les qualités et la fraîcheur de l’écriture ont aussitôt suscité l’intérêt de la critique.
Son second roman paru aux Éditions “Le Chant des voyelles” en septembre de la même année, n’a guère en commun avec le précédent, que son découpage en chapitres.
Il est entièrement écrit à la première personne, sur le mode de l’autobiographie, avec de constants allers et retours entre le passé et le présent. Il est le récit de la vie de la grand-mère de l’autrice, au centre d’une famille éplorée, clouée sur un lit d’hôpital à la suite d’un accident vasculaire cérébral.
À cette aïeule qui ne s’exprime plus que par borborygmes, l’autrice va donner son propre langage au vocabulaire soigné et aux références littéraires alors qu’elle déroule, elle-même, un passé qu’elle ne connaît qu’imparfaitement. Pour le lecteur, Laura, “Loretta”, la conteuse, devient alors Livia.
Le mot “odyssée” dans le titre pourrait surprendre. Il est – pour nous – synonyme de voyage.
Or, les voyages de Livia se résument à quelques trajets entre Casamaina dans ses Abruzzes natales, Paris et sa proche banlieue. Et le rêve du retour “avant la fin” dans son Ithaque personnelle, se fait bien hypothétique avec le grand âge et l’invalidité.
Mais le terme “odyssée” connote bien des péripéties, et elle en a connu dès son plus jeune âge, cette petite Italienne grandie dans la misère, qu’on envoie par des routes escarpées, à flanc de montagne, porter les fromages de chèvres à la “Zia” de L’Aquila, la ville la plus proche.
C’est là, qu’adolescente, elle apprend à coudre, à défaut de pouvoir poursuivre des études.
Très jeune, en 1960, elle épouse Aleandro, un lointain cousin, silencieux et vaillant, “brut de décoffrage”. Elle partage aussitôt le sort de ces femmes des pays pauvres qui voient le mari partir pour de lointains chantiers à l’étranger. Et il n’est pas question pour l’épouse de suivre le travailleur ! Le regroupement familial n’interviendra que dans la décennie suivante.
Un retour, puis à nouveau l’absence. Mais de ce bref passage, elle a eu un fils qu’elle prénomme Ulisse, nom du héros découvert à l’école, comme antidote à l’ignorance ambiante, aux traditions aussi pesantes que la glaise qui embourbe les sabots. Livia n’aura pas le destin de Pénélope, elle ira à la recherche de l’absent.
Ses talents de couturière l’aident au départ, ou peut-être Angélina, cette étrange jeune femme brune, qu’elle semble avoir toujours connue, y est-elle pour quelque chose ?
La vie de Livia, en France, va être celle de toutes ces épouses d’immigrés, privées de leurs racines, ignorant longtemps la langue du pays d’accueil, vivant dans la crainte du “manque” parce qu’elles ont connu un jour les tourments de la faim. Et travailleuses jusqu’à l’épuisement…
Mais Livia, comme tant de ses compagnes de l’époque des Trente Glorieuses, “ritales”, espagnoles, portugaises, garde la fierté des origines et de l’accent. Elle partage avec son mari la dignité des fins de mois que l’on boucle sans dette. Et la fierté de la réussite scolaire de leurs deux fils.
Au Dieu de son enfance, elle voue une foi aussi naïve que constante, “honnête pécheresse, bigote sincère et loyale”. Mais cette vie si simple a sa part de mystère, et il lui faut arriver au terme de la sienne pour trouver la réponse aux questions sans réponse. Certes, elle n’a manqué ni de courage ni de volonté, mais un regard bienveillant s’est très tôt posé sur sa jeune existence, comme l’aile d’un ange. Et malgré les silences de sa propre mère, un doigt a tracé les passerelles qui ont orienté sa vie.

Joli récit romanesque, qui s’étend sur près de soixante-quinze ans, pour s’ancrer dans une actualité toute récente, “L’Odyssée de Livia” nous offre un beau portrait de femme immigrée, s’accommodant de sa situation, tout en refusant une véritable intégration. Car elle résiste autant qu’elle le peut à “l’ancrage progressif dans cette terre d’accueil”. Le style de Laura Iapadre, qui interroge le passé et sonde les pensées dans ce texte très réaliste, le rend à la fois touchant et accessible.
Il nous interpelle sur le destin de ces femmes, venues d’ailleurs. Mais découvrir la vie de Livia, nous amène aussi à nous interroger, s’il est encore temps, sur celle de nos ascendants, sur leurs origines ou leur histoire. Peut-être y découvrirons-nous matière à mieux les connaître, et donc à mieux nous connaître nous-mêmes ?

Christiane SISTAC
articles@marenostrum.pm

Iapadre, Laura, “L’odyssée de Livia”, Editions Le chant des voyelles, 02/09/2021, 1 vol. (136 p.), 15€

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