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Désirs d’exil, de pays de lait et de miel, ou de “migritudes” selon le néologisme de Jacques Chevrier pour définir ses chemins de la clandestinité vers l’Europe, les fictions sont aujourd’hui légion qui émanent d’auteurs d’expression française, originaires d’Afrique subsaharienne et font de ce devenir du migrant un sujet récurrent. De “La vie et demie” de Sony Labou Tansi au “Pleurer-rire” d’Henri Lopes, en passant par le célèbre “Allah n’est pas obligé” d’Ahmadou Kourouma (Prix Renaudot 2000), bien des ouvrages ont ainsi marqué leur temps.
Autant de livres qui expriment, chacun à leur manière, la détresse et l’oppression de peuplades abandonnées dans des dictatures déguisées en démocraties ; leur quotidien misérable ; et la difficile cohabitation entre la modernité croissante dans les villes et les valeurs ancestrales du pays. C’est le constat de ce terreau d’injustice qui met en branle le récit de Khalil Diallo dans cette “Odyssée des oubliés”.
Sembouyane, le principal protagoniste, avait vingt-deux ans en 2013, lorsqu’à l’issue d’une violente razzia aux confins du Sénégal et de la Guinée Conakry, dont il restait l’unique survivant, celui-ci opta pour l’exil salvateur. Du petit pays de Forédougou, où les seuls instants de tendresse furent ceux passés avec la jolie Fatou, retrouvée violée avec deux trous rouges sur chaque omoplate, le jeune orphelin n’eut d’autre salut que de s’en extirper.

Demain, dès l’aube, à l’heure où renaît la forêt, comme le poète éploré, je m’en irai. Je prendrai la route de l’exil tracée par des cadavres. J’irai par les gîtes de la mort, ravagés par la famine, la soif et la brutalité des hommes pour trouver ma terre promise.

En une langue maîtrisée, où la sobriété stylistique n’a d’égale que la force des mots, la folle aventure se met ainsi en place. Après s’être mis en marche, seul, avant le lever du soleil, Sembouyane fera équipe avec son ami Idy qui dégotera un petit magot dans la case d’un receleur pour démarrer le voyage. Puis, au gré des premières étapes, d’autres comparses d’infortune les rejoindront. Après le bref compagnonnage de Karim, décédé quelques jours plus tard, c’est l’écrivain Alain qui s’agrégera au groupe. “Pourquoi un écrivain ?” interrogent les deux fugitifs, incrédules. “Parce que j’ai toujours contesté la dictature sous toutes ses formes, leur sera-t-il répondu. Et “que l’unique chose qui me reste, est de faire entendre ailleurs toutes ces voix perdues…“, assènera l’intéressé. Depuis Bamako et le vaste océan de sable qui file plein ouest, l’équipée fera alors étape à Agadez. La ville-carrefour de toutes les caravanes dont Karim leur avait parlé évoquant la figure de Maguy, une féministe tchadienne qui entend elle aussi rallier l’Europe pour y poursuivre des études de droit et défendre la cause des femmes. La troupe désormais constituée, la poursuite de l’épopée dans le Ténéré ne pouvait s’improviser. Il fallut avoir recours aux passeurs.

Ces loups cachés sous la peau d’un agneau, lunettes de soleil et baskets propres, qui flairent les victimes les plus fortunées, leur proposent leurs services d’un ton faussement cordial, avant de fondre sur elles comme de vulgaires hyènes.

D’un ton juste et imagé, l’auteur dépeint parfaitement le tragique de ces instants où l’exilé, désemparé, n’a d’autre moyen que de mettre sa vie aux mains de ce type d’individus. Mais par chance Sami est d’un autre acabit. S’il fait son métier de traceur d’itinéraires aux réfugiés, c’est avec dignité et conscience professionnelle. De Tripoli à Lampedusa, sa notoriété comme sa rudesse ont acquis la reconnaissance de tous les clandestins. “Si vous n’écoutez pas les consignes et vous croyez trop malins, je vous jette par-dessus bord“, les prévient-ils. “En m’obéissant, il ne vous arrivera rien.” Et Sami va tenir parole, les préservant de repaires en oasis, jusqu’à ce qu’aux confins de la Libye, un groupe de Daech ne l’abatte avec Maguy. Ce sera le tournant de l’errance dont on se doit de taire le dénouement, sauf à dire que chaque page apporte son lot d’expectative et de désillusion.

Ô monde en perdition, viendra-t-il qui comme Zeus se rappellera et sauvera les oubliés, existe-t-il seulement ? ” ressassera l’auteur comme une antienne. À propos d’un recueil de poèmes “Chœur à cœur” (L’Harmattan), Khalil Diallo se définissait comme “un amoureux du verbe et un tailleur de mots”. C’est vrai, certes, mais c’est plus que cela. Par sa façon de retranscrire ce drame de la migration comme s’il le vivait en épousant les souffrances de tant de frères sacrifiés, ce dernier fait bien mieux qu’être le porte-parole de leur détresse. Il s’impose comme un des jeunes écrivains les plus prometteurs du continent africain.

Michel BOLASELL
articles@marenostrum.pm

Diallo, Khalil, “L’odyssée des oubliés”, Editions Emmanuelle Collas, 20/08/2021, 1 vol. (264 p.), 16€

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