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Sur une couverture à la couleur sépia, la silhouette triste d’un enfant solitaire confère immédiatement au livre une infinie mélancolie.
Depuis “Le Rêve de Martin”, publié en 2006, récompensé par le “Prix Marguerite Audouy”, on sait l’attention que porte Françoise Henry, comédienne et romancière confirmée, aux personnes vulnérables et aux petites choses de la vie.
Aux “Gens de peu” comme les désignait Pierre Sansot en 2011, elle accorde : “une attention affectueuse, une volonté de bienveillance”, sans se départir d’un puissant réalisme.
“Loin du soleil”, paru en janvier 2021 aux Éditions du Rocher, nous invite dans ce qu’on peut qualifier un “territoire oublié” de la République.
La toponymie des lieux nous permet de situer l’action entre l’Auvergne et le Jura et semble répondre à une volonté confirmée de l’auteure, qui donne ainsi à “Loin du soleil” une portée bien plus vaste.
En effet, en modifiant quelques détails, on peut parfaitement se retrouver en Normandie, en Bretagne, au fin fond de l’Ariège ou dans bien d’autres coins du monde, car l’histoire se construit à partir de trois paramètres universels : l’enfance dévastée, les addictions, l’illettrisme.
Certes, la région est belle à l’automne, “avec un paysage d’érables rouges et de tilleuls dorés”.
Mais c’est à la télévision qu’on découvre “l’ailleurs” en suivant les étapes du Tour de France.
Les citadins ne se sont pas encore approprié ces hameaux dispersés “en pierres et en briques”, mais plus souvent en “torchis et en pisé” pour les transformer en résidences secondaires.
Ici, on se rencontre à la fête du village voisin ; les couples se forment au bal du quatorze juillet. Les hommes sont de petits exploitants agricoles ou des artisans itinérants ; le soir, la fatigue ou la misère se soulagent au gros rouge. Les femmes restent “au foyer” ; parfois aides-soignantes, elles font des kilomètres pour assister des vieillards dans des fermes isolées. Nanties d’un CAP, elles travaillent à la ville, jusqu’à ce qu’inexorablement se ferment le rideau de la supérette et la vitrine du coiffeur. Gare à la paresseuse qui préfère bronzer au soleil entre ses désirs d’adolescente et ses rêves de midinette !
L’alcool qui a miné les pères finit par rattraper les garçons désœuvrés qui traînent leur vie dans l’ennui, entre bars et castagne.
Quand se marient l’Augustin et Nadine, l’avènement de l’euro est encore loin d’être proclamé.
Vers la fin du roman, quelques “gilets jaunes” veillent de nuit sur un rond-point… La crise sociale vient d’exploser…
Comme dans “Le Rêve de Martin”, Françoise Henry a choisi le récit à la deuxième personne du singulier, mode d’expression peu usité mais si vivant, et inégalable pour impliquer le lecteur dans l’action.
La narratrice est Greta qu’une maladie orpheline et très handicapante, confine à l’abri du soleil sous des voiles noirs en plein été.
Désormais veuve, puis retraitée, elle observe tel un oiseau de nuit ou une vigie attentive, l’enfant dont elle a connu la mère et dont le père tangue dorénavant entre le désespoir et une indifférence avinée.
Elle, qui n’a pas connu la maternité, se borne à assurer un accueil, et prodiguer quelque réconfort à l’orphelin à qui personne n’a su dire la vérité…
De grands pans de vie du garçon lui échappent, mais elle en reconstruit la teneur comme des morceaux d’un puzzle volontairement mal ajustés, entre ce qui lui est rapporté, ce qu’elle devine, et ce qu’elle sait.
À l’instar d’Augustin, son père, il a grandi en longueur, tel une plante qui s’étire pour capter la lumière et dont les feuilles s’étiolent faute de soins.
Une enfance privée de tendresse, une scolarité turbulente et chaotique, et pas d’autre perspective qu’un boulot payé “au noir” qui l’enferme dans des conduits de cheminées.
Françoise Henry pose sur l’environnement du garçon un regard souvent sévère mais juste. Sans condamner, elle mesure à travers le regard de Greta le poids du contexte familial, l’espèce de fatalité qui fait d’un enfant sans horizon, si nul ne s’interpose, l’héritier des tares du père, comme l’ont si bien démontré les travaux aboutis – et détruits, du “Docteur Pascal” d’Émile Zola, le vingtième et dernier volume de la série des Rougon–Macquart.
Mais elle voit aussi, en chacun, sa part d’humanité lumineuse : chez Antoine, frère de misère de Martin, sa fascination respectueuse de la beauté solaire et colorée de Nadine, chez Augustin sa passion inépuisable pour les oiseaux qui fait de lui un convive intarissable, chez le maître–ramoneur, les gestes pudiques et la parole encourageante, chez Loïc, si vulnérable, sa douceur pour un chiot recueilli et ses mains tremblantes mais habiles qui font de lui un “Edward aux mains d’argent”…
Greta saura-t-elle trouver les mots pour redonner à ce garçon une dignité ?
“Loin du soleil” s’inscrit dans la lignée des beaux romans sociaux qui marquent la littérature française depuis le XIXe siècle jusqu’à l’époque contemporaine.
À travers un cas individuel, mais tellement symbolique, l’auteure dans un style précis et sobre, lève ce voile trop opaque jeté sur ces oubliés de la vie, largués par des familles elles-mêmes fragiles, et que le système scolaire n’est pas assez fort pour récupérer sur le bord de la route.
Peut-il suffire parfois d’une Greta pour ouvrir la porte du savoir-faire et donc du savoir être ?
Françoise Henry, résolument, avec générosité et optimisme nous invite à y croire.

Christiane SISTAC
contact@marenostrum.pm

Henry, Françoise, “Loin du soleil”, Le Rocher, 06/01/2021, 1 vol. (214 p.), 17,90€

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