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Gilles Navarro, Lucien Mias, une légende du rugby français, Privat, 30/01/2025, 260 pages, 21,90€

Grandi à Sournia, Lucien Mias a puisé en Roussillon les vertus cardinales qui ont fait de lui un personnage modèle tant au sein de l’équipe de France de rugby que dans l’univers médical. Une saga que retrace parfaitement Gilles Navarro dans sa « Légende du rugby français ».

« La vie est un défi. Fais-lui face.
La vie est un combat. Accepte-le.
La vie est mystère. Perce-le. »

Cette élégie de Mère Teresa que l’auteur place en épilogue de l’ouvrage synthétise si bien le vécu de son héros qu’elle eut pu mériter figurer en incipit, tant elle renferme les vertus de cette légende du rugby.
Vertus humanistes d’une « belle personne » tel le que le qualifie Fabien Pelous dans la préface pour bien montrer que le charisme de cet ancien capitaine du XV de France s’élargit bien au-delà d’un terrain de rugby.
Tour à tour instituteur et médecin, avant de devenir le « Docteur Pack » adoubé par nombre d’observateurs du ballon ovale, Lucien Mias est par son seul panégyrique, un être à part dans l’échiquier du sport hexagonal. Un homme protée en quelque sorte, fruit de valeurs aujourd’hui presque obsolètes, que Gilles Navarro a le mérite de mettre particulièrement en exergue.
Dans tout travail de biographe, une chose est de racoler insidieusement le lectorat, une autre de puiser au creuset d’une existence pour en tirer la quintessence.
C’est ce dernier aspect qu’a privilégié cet ancien journaliste de l’Équipe attaché par expérience à déceler ce supplément d’âme conférant la stature d’un champion.
Pour étayer sa quête, l’auteur n’a point eu besoin de se référer au seul palmarès sportif de sa carrière. Dès le premier âge, à l’ombre de l’humble giron familial, Lucien Mias n’a cessé de manifester ces signes distinctifs d’empathie, de ténacité et de courage préludes d’une personnalité hors du commun.
Une histoire qui prend corps à « Sournia, source de son enfance », comme l’intitule le premier chapitre de l’ouvrage. Car, bien que né dans un petit village de Lozère, c’est en Roussillon, que grandit le troisième rejeton de la tribu Mias, à l’orée des années 1930.
Dans ce petit bourg des Fenouillèdes, niché entre Corbières et Pyrénées, le cours des jours comme celui de l’école en classe unique n’avait rien d’un fleuve tranquille et le rapport à la discipline auquel le narrateur fait allusion est suffisamment éloquent : 

Chaque erreur de lecture vaut une tape sur la tête. Elle n’est pas douloureuse, sauf lorsqu’elle se répète trop souvent. Et si d’aventure, le maître venait à écrire un mot aux parents, cela devenait une situation catastrophique pour l’élève. La raclée paternelle mettant régulièrement un terme à l’histoire. L’éducation, en ce temps-là, n’appliquait pas les principes de la présomption d’innocence!

Aussi à l’aise en gavatx qu’en catalan

Une tout autre époque assurément, que le jeune Lucien mit intelligemment à profit. Outre l’opportunité de s’exprimer en trois langues, le français à la maison, la langue d’oc ou le gavatx au village et le catalan lors des réunions familiales, l’adolescent compléta sa formation par la lecture assidue du Petit Larousse illustré puis de l’Almanach Vermot et de l’Illustration. Une soif d’apprendre donc, qui fera cependant bon ménage avec une activité physique. Longtemps, celle-ci se résumera à la cueillette des champignons ou aux travaux de la ferme familiale du Mas Cousinet, avant que la mutation de son père gendarme lui entrouvre d’autres horizons.
Du rugby en l’occurrence, déjà pratiqué par ses deux frères aînés, qu’il découvrira tardivement tout en brûlant les étapes. « Pour autant qu’il eût des difficultés à domestiquer ce ballon ovale aux rebonds capricieux », comme il l’expliquait, sa carrure d’un mètre quatre-vingt-sept suscita vite l’attention de divers entraîneurs au premier rang desquels le catalan Eugène Ribère, l’un des grands noms du sport ovale de l’époque, joua une part prépondérante.
Devenu instituteur dans l’intervalle puis marié à la jolie Minou, et prestement papa, Lulu avait désormais les coudées franches pour s’adonner à un sport aux débuts prometteurs.
Repéré dès son arrivée au SC Mazamet en 1950, sous la houlette du bon président Fabre, le frais émoulu deuxième ligne verra son parcours brusquement s’accélérer.

Artisan du chef-d’œuvre de Johannesburg

Sélectionné pour la première fois en 1951 à l’occasion de France-Ecosse, il cumulera succès et désillusions – victoire dans le Tournoi et face à la Nouvelle-Zélande ; puis retentissant échec contre les Springboks — avant que le décès subi de sa mère ne réoriente son destin.
Tout autant que voir une maman exprimer sa souffrance, la savoir entassée dans une salle surpeuplée, comme des brebis à l’étable, lui était apparu si insupportable qu’il se promit de relever un défi. Celui de devenir médecin.

Voir ma mère perçue comme une chose fut pour moi une image si révoltante, que je me suis aussitôt fait la promesse de changer les conditions de fin de vie de nos aînés.

Généreuse résolution qui, due autant à sa motivation qu’à l’aide une fois encore apportée par le président Jean Fabre, lui permettra d’être admis docteur en médecine cinq ans plus tard. Est-ce le fait d’accéder au capitanat du XV de France lors du premier test-match contre l’Afrique du Sud qui lui redonnera la grinta de ses débuts ?
Toujours est-il  que l’ultime joute aux Antipodes du 16 août 1958, considéré comme « le chef-d’œuvre de Johannesburg » par Denis Lalanne, où le XV de France battit les Springboks sur leur terre, constitua son apothéose.
Le bouquet final d’un apogée sportif s’entend. Car, l’exploit sur le green achevé, un autre médical se profilait, que le « Docteur Pack » si bien nommé valida vingt ans plus tard, lorsqu’il devint chef de service de médecine de soins de longue durée du centre hospitalier de Mazamet.
Avec cet inextinguible désir de venir en aide à ceux qui souffrent et d’innover pour leur mieux-être. Sa façon à lui « d’aller toujours voir de l’autre côté de la colline » comme le faisait, esprit curieux et sans cesse en éveil, le petit gamin de Sournia.
Voilà pourquoi, à bien des égards, Lucien Mias, alias « Papidoc », légende rugbystique autant qu’humaniste, « demeurera immortel » comme le conclut Henri Garcia dans son préambule. Toute l’épopée d’une existence ô combien singulière que cette passionnante biographie nous invite à découvrir.

Image de Chroniqueur : Michel Bolasell

Chroniqueur : Michel Bolasell

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