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Ludivine Ribeiro, Ma mère en toutes choses, Arléa, 31/08/2023, 1 vol. (244 p.), 20 €

Ludivine Ribeiro a perdu sa mère – et tout son monde s’est écroulé. Dans Ma mère en toutes choses, l’auteure décide de la réécrire à travers les objets qui ont fait partie de son quotidien, les souvenirs épars, vaporeux, incomplets voire inachevés – toujours avec l’espoir de retrouver la lumière dans l’obscurité insoutenable du deuil.

Philippe Delerm écrivait dans La Cinquième saison : “Aujourd’hui que les jours te font loin de mes mains, je pense à ces caresses qui me sont restées, à ces phrases de presque rien qui t’auraient amusée, à des histoires drôles – j’ai mal de ton rire lointain qui n’a pas résonné.”

Ces quelques mots auraient pu être l’introduction du livre de Ludivine Ribeiro, Ma mère en toutes choses, publié aux Éitions Arléa, où l’auteure, qui a perdu sa mère, la raconte à travers tous les objets, les détails, les petits riens qui la composent. À la manière de Philippe Delerm et de Francis Ponge, qui écrivent tous deux sur la beauté des objets et des situations parfois insignifiants, Ludivine Ribeiro redessine la vie de sa mère grâce aux souvenirs retrouvés, recherchés, qui dépassent les frontières de la mémoire et stagnent dans une réalité entre la vie et la mort.

Le pouvoir des objets

Ludivine Ribeiro joue sur les genres littéraires pour explorer les différentes facettes de sa mère, reproduisant ainsi le fil de ses recherches. Liste aléatoire d’éléments qu’elle aimait, de parfums qu’elle portait, ou bien de ses qualités ; descriptions précises d’objets qui lui appartenaient associés à des souvenirs importants ; retranscriptions de notes, de conversations. Une recherche presque archéologique, visant à reconstituer une histoire dans les détails les plus simples avec l’espoir que sa mère ne soit jamais “effacée” par le temps. Tout doit ramener l’auteure à sa mère disparue :

C’est à cet instant que naît l’idée puérile de faire l’inventaire des objets qui me viennent d’elle, comme autant de preuves de sa présence encore, et c’est un soulagement inattendu de constater qu’eux sont toujours là, que je peux les toucher, les respirer, leur parler si je veux, qu’à la manière de cailloux blancs disséminés dans les pièces, par mille chemins ils me ramènent à elle.

Ces objets deviennent presque des morceaux de biographie tant ils correspondent à la personnalité de sa mère. Ils font partie d’elle, ils la représentent, si bien qu’ils racontent sa jeunesse, sa souffrance lors de la perte de ses deux enfants, ses moments de tendresse et de tristesse :

Les objets, pour qui on a si peu de considération possèdent des pouvoirs insoupçonnés. Leur existence, souvent bien plus longue que la nôtre, est fantasque et plurielle, gorgée de souvenirs superposés.

Vider l’appartement, une étape douloureuse du deuil, devient une “consolation” pour Ludivine Ribeiro car c’est en ses objets que sa mère vit encore.

Le pouvoir des objets

Si Ludivine Ribeiro met en avant les difficultés du deuil, elle évoque aussi la transmission. Qu’est-ce que nos disparus nous transmettent ? Leurs objets, certes, mais aussi l’étendue de leurs univers à redécouvrir :

Il y a toutes ces choses que je ne sais pas, et que je ne saurai jamais, mais il y a aussi celles que je découvre en écrivant, et qu’elle-même peut-être ignorait.

C’est ce qui touche et bouleverse dans la plume de l’auteure. Cette lumière qui s’étend sur cette liste d’objets dont on devine la forme, et surtout, dont on comprend les histoires qu’ils lèguent :

L’absence n’est pas le contraire de la présence, mais la présence amplifiée, exaltée, démultipliée, et il faut se débrouiller avec ça désormais, ce mélange de vide et d’envahissement. Apprendre à vivre sans elle, avec sa présence perpétuelle.

La finalité du deuil serait alors cette transmission, ces leçons, ces souvenirs offerts par les êtres aimés, et qu’on peut écrire à notre tour, d’où la démarche de l’auteure : faire revivre sa mère dans les détails qui lui appartiennent sans brandir la (tentante) envie d’écrire une biographie. Il n’y a rien de chronologique. L’important reste le flot de ces pensées qui surgissent soudainement pour happer l’auteure et lui remémorer des parcelles de la vie de sa mère, une madeleine de Proust posée sur une table, qu’on ne touche pas, qu’on se contente de contempler éternellement.

L’espoir face au deuil

Le thème du deuil caractérise Ma mère en toutes choses. C’est ce que l’auteure vit intensément, dans sa chair de petite fille abandonnée, de femme blessée par la mort, si bien qu’elle prend la plume pour la contrer, graver sa mère dans l’éternité. Pourtant, ce deuil permet à l’auteure de créer une nouvelle relation avec sa mère, de la découvrir sous d’autres aspects, de lui offrir la vie éternelle à travers cette recherche perpétuelle et ses mots : “On n’est pas vraiment mort tant que des gens pensent à vous.”
En parallèle, l’œuvre explore aussi le combat d’une fille face au vide laissé par sa mère. Un combat qu’elle décide de mener, en continuant à vivre :

Alors aujourd’hui, je le sens, c’est elle qui me pousse à poursuivre cette vie qu’elle m’a transmise, dont seule l’idée de sa survivance l’a aidée à quitter ce monde, la certitude que je continuerais de le fouler de mes pieds nus, marchant dans les fleurs et les ruisseaux, la chaleur du soleil sur ma peau qui est d’elle, la sienne encore, si on regarde bien.

Sa mère lui a transmis la vie, alors Ludivine Ribeiro se doit d’honorer celle-ci en gardant cette lumière précieuse qui la caractérise : l’espoir naît de cet amour, que la mort renforce malgré elle, réécrit à l’infini.

Comment écrire l’espoir à travers le deuil ?
Ludivine Ribeiro nous donne une ébauche de réponse. Le deuil nous force à nous reconnecter à l’essentiel, à ces instants auxquels on ne prête pas attention, mais qui font tout de la personne que l’on chérit. Elle nous apprend que la perte réinterroge l’amour, nous pousse à le comprendre davantage, à le rechercher encore – à le poursuivre. L’espoir, c’est aussi écrire l’être aimé, le sculpter dans le marbre d’un écrit qui fige ces souvenirs en fuite. En faire le témoin de l’éternité – un acte magique que seul l’art peut peindre dans le temps.

Ma mère en toutes choses est une œuvre émouvante, complexe à lire du fait du thème du deuil, mais si merveilleuse pour l’âme qui n’oublie jamais.

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Chroniqueuse : Manon Lopez

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