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Marc Lefrançois, Les grandes criminelles de l’histoire : de l’affaire des poisons à nos jours, Armand Colin, 27/09/2023, 1 vol. (170 p.), 19,90€

De tout temps, les affaires criminelles frappant toutes les classes sociales emplissent, qui les prétoires, qui les journaux, toujours les esprits, et passionnent les foules, avides de sensations fortes et de spectacles judiciaires et létaux. Se démarquant de très nombreux ouvrages écrits sur le sujet, l’auteur s’est attaché à n’étudier que les femmes assassines dans Les grandes criminelles de l’Histoire. Sexe faible, elles tuent, comme le suggère le sous-titre : De l’Affaire des poisons à nos jours, moins violemment que les hommes, sans effusion de sang, mues le plus souvent par la passion amoureuse (parfois pécuniaire). De fait, sur les 16 cas disséqués (mais avec 17 meurtrières avec les sœurs Papin), les méthodes meurtrières utilisées sont l’empoisonnement (8), les tirs au révolver (5), l’étranglement (2), le couteau (1). Les verdicts prononcés sont la décapitation (4), les travaux forcés (4), l’emprisonnement (2), l’asile (2), l’acquittement (4), voire la libération pure et simple (1) (Lady Olympia Guilford, malgré ses aveux écrasants, ressort libre de la Bastille, suite à la visite de Monsieur, le frère du Roi). Ainsi, bénéficiant du doute ou de circonstances atténuantes et particulières, certains crimes ne sont pas sanctionnés ou certaines peines sont allégées (peines de mort commuées en travaux forcés ou en prison). Ces grandes criminelles ont traversé l’Histoire et bon nombre d’elles ont même inspiré le cinéma qui les a immortalisées sur les toiles : Marguerite de Brinvilliers (La marquise des ombres, É. Niermans, 2009), Marie Lafarge (L’affaire Lafarge, P. Chenal, 1938), Hélène Jégado (Fleur de Tonnerre, S. Pillonca, 2017), HenrietteBlanche Canaby (Thérèse Desqueyroux, G. Franju, 1962), Marguerite Steinheil (La maîtresse du Président), J.-P. Sinapi, 2022), Louise Grappe (Les Années folles, A. Téchiné, 2017), Les sœurs Papin (Les blessures assassines, J.-P. Denis, 2000), Violette Nozière (Violette Nozière, C. Chabrol, 1978), Marie Besnard (Marie Besnard, l’empoisonneuse, C. Faure, 2006). Pour ma part, une histoire, hyper médiatique, a particulièrement retenu mon attention et résume tout le livre : la décision de justice n’est pas du tout convaincante et le contraire aurait pu être prononcé.

 

Le peintre Adolphe Steinheil avec sa femme Marguerite qui l'assassinera en 1908

Marguerite Steinheil, la veuve rouge ou diabolique.

En 1908, un cambriolage finit mal avec le double assassinat du n° 6 de l’impasse Ronsin (Paris, XV°) du peintre pompier Alfonse Steinheil, le propriétaire, et d’Émilie Japy, sa belle-mère. Marguerite Steinheil, l’épouse de 30 ans plus jeune, et la fille d’Émilie Japy, retrouvée ligotée et dénudée, n’est que blessée. 10.000 francs en billets et des bijoux sont dérobés. Interrogée, elle décrit les voleurs, trois hommes à barbe noire et à l’accent allemand et une femme rousse parlant parfaitement le français, qui l’ont forcée à indiquer où était l’argent. La police, a beau fouiller tout Paris, piétine, mais relève des incohérences : l’absence de toute effraction, le seul vol d’argent et de bijoux et l’oubli de l’argenterie et de tableaux précieux, les liens mal noués et lâches. Les obsèques faites, Madame Steinheil rejoint Belfort d’où elle est issue. La presse se rappelle qu’Adolphe Steinheil peignait un portrait du Président Félix Faure qui venait souvent chez lui, ce qui lui valut une certaine notoriété et fit courir le bruit que sa femme était la maîtresse du Président. Tout le monde connaît la mort de Faure, en compagnie de Madame Steinheil, résumée par Georges Clémenceau : “Il voulut être César, il mourut Pompée”. Pour sa fellation, Madame Steinheil gagne le surnom de “La Pompe funèbre”. La presse lui trouve d’autres amants illustres et fortunés : le ministre Aristide Briand, le grand-duc de Russie, le prince de Galles, le roi Sisowath du Cambodge… Avec une telle réputation, la rumeur enfle : si la Steinheil n’a pas été tuée, c’est qu’elle était de mèche avec les assassins. Pis, elle n’est plus une complice mais la seule et vraie investigatrice. Elle est arrêtée. Les soupçons sont nombreux mais les preuves manquent et la procédure d’instruction dure un an. En novembre 1909, durant les huit jours du procès à la fois médiatique et politique, Marguerite se pâme, allègue, accuse, pleure ou s’évanouit quand elle ne veut pas répondre. Le procureur général l’accuse d’avoir tué sa mère pour en hériter et son époux pour s’en libérer et d’avoir inventé un cambriolage sordide qui aurait mal tourné, mais l’avocat de la défense, fort d’un plaidoyer de plus de sept heures d’affilée, montre l’absence de preuves et convainc le jury qui acquitte sa cliente sous les applaudissements. L’histoire finit bien : Madame Steinheil publie ses Mémoires en 1912, épouse un riche baron anglais en 1917 devenant de facto une invitée du palais de Buckingham. Femme de plaisir et du monde, la lady décède en 1954, à l’âge de 85 ans.

Toutes les histoires, connues ou inconnues, s’avèrent prenantes et passionnantes. Marc Lefrançois, auteur de nombreux ouvrages, dont chez Armand Colin une Histoire des grands résistants. De Jeanne d’Arc à de Gaulle (2022) et Ma dose quotidienne d’histoire. 365 notions d’histoire. (2021), sait captiver le lecteur qui, entamant un texte, est pris par la trame, la force et le réalisme de l’histoire, se demande si la femme est assassine ou non, si elle sera châtiée ou pas, et lit chaque épisode jusqu’à la dernière ligne. Je n’aurai qu’un infime regret, l’absence de toute iconographie – notamment de photographies – qui aurait “donné vie” aux grandes meurtrières des XIXe et XXe, achevant de dresser et de compléter leur portrait toujours saisissant.

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Chroniqueur : Albert Montagne

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