Impossible d’aborder la vie de François Mauriac en obérant son volet spirituel. Que ce soit dans ses romans et son Bloc-Notes comme par ses diverses collaborations aux journaux et revues, le Prix Nobel de littérature en a suffisamment fait mention pour qu’on ne puisse l’occulter.
De Jean Lacouture à Violaine Massenet en passant par Jean-Luc Barré, pour ne citer que ses principaux biographes, tous ceux qui ont retracé son parcours y ont consacré une large part, tant son vécu chrétien recouvre, sinon se confond avec l’ensemble de son œuvre et de son existence.
Mais pour autant que ces derniers se soient attardés sur le sujet, manquait toutefois un regard plus élargi sur le positionnement de l’homme de Malagar au sein de l’Église catholique et plus généralement de l’institution ecclésiale. C’est là tout le défi comblé, et de façon exhaustive, par Philippe Dazet-Brun.
Professeur à l’Institut catholique de Toulouse et secrétaire de la Société internationale des études mauriaciennes celui-ci sait manifestement de quoi il parle et a le mérite de le faire, de façon chronologique. En mettant l’accent dès son introduction, sur cette foi chevillée au corps du jeune Mauriac, à laquelle il ne cessa d’être fidèle.
Cet irrépressible attachement à Dieu, comment mieux l’expliciter qu’à travers ces quelques lignes de son « Ce que je crois » lorsque faisant référence à la brusque conversion de Claudel, il pressentit l’éternelle enfance de Dieu.
Que de fois l'ai-je ressentie moi-même, à la messe, devant un enfant qui revenait de communier ! Que le Christ soit à la mesure du cosmos, je le veux bien et je m'en désintéresse : mais qu'il vive dans cet enfant agenouillé devant moi, dont j'aperçois la nuque mince, et qu'il se confonde avec lui, et qu'il soit lié à ce petit d'homme par une ressemblance qu'un adulte a peine à concevoir, c'est la vérité incroyable à laquelle je crois et qui me bouleverse.
Cette relation d’amour divin posée, qui ne faillira d’ailleurs guère, même aux heures de doute, encore faut-il la nuancer dans sa relation avec l’Église traversée durant le vingtième siècle. Il faut dire que la dite période n’a pas manqué d’événements marquants.
Du Sillonisme de Marc Sangnier à l’aventure des prêtres-ouvriers jusqu’aux péripéties du Concile, ce sont autant d’événements signifiants qui vont influer, sinon diviser nombre de consciences catholiques. Sans parler du modernisme, mouvement confrontant la Bible et le sentiment religieux aux découvertes scientifiques et aux approches philosophiques nouvelles tel que le définit l’auteur, qui suscita dès la fin du XIX° siècle une large remise en question des fondements de la foi.
Une réflexion d’envergure, initiée par les écrits de Loisy, Blondel et autres Laberthonnière, auxquels F. Mauriac ne fut pas insensible. « Il n’est pas une ligne de leurs papiers intimes qui ne correspondent à des sentiments que j’ai éprouvés, à des tentations contre lesquelles je me suis débattu », soulignera-t-il dans Mémoires politiques.
Mais si cet épisode moderniste fit naître en lui une hostilité à l’égard des exégètes, il n’en prit pas moins ses distances lorsque celui-ci sombrera dans des excès condamnables. S’il connut le même phénomène d’attraction répulsion envers le Sillon, il en fut différemment avec l’Action catholique.
Proche de son ami prêtre, Georges Guérin, l’auteur de l’Enfant chargé de chaînes, considérait que cette jeunesse catholique, avait en effet ceci de singulier, que non seulement elle apportait la parole du Christ à ceux dont elle épousait la lutte afin d’améliorer leur condition de vie et de travail, mais aussi, et plus encore sans doute, qu’elle aspirait à une vie sanctifiée et divinisée.
Ce combat pour plus d’humanité et contre l’injustice, Mauriac en fera son cheval de bataille chaque fois que l’Eglise-institution se fera complice de collusion avec le pouvoir politique. « Ennemi de toute forme de pharisianisme », comme l’explique Philippe Dazet-Brun, il ne peut pas davantage admettre la conquête de Mussolini en Éthiopie, que le soutien du Vatican à Franco durant la guerre civile espagnole lorsque ce dernier massacrait l’ennemi républicain au nom du Christ.
Le pire des crimes au regard du romancier bordelais, car il lui était inconcevable de faire dévier les paroles d’amour du Christ à des fins politiques et de suprématie de pouvoir.
En fils de l’Évangile, semblable attitude n’était pas négociable à ses yeux.
« Qu’importe si je déplais à des chrétiens, laïcs ou clercs, qui subodorent dans ma religion un relent de gauche », avouait-il en 1963.
Davantage qu’une Église conservatrice et repliée sur elle-même, il ne cessa de plaider et de militer pour une Église à l’écoute de son temps, qui sente la vie. En témoignent ses prises de position dans les revues « Vigile », « Sept » ou « Temps présent » qui deviendront plus fermes encore, lors de l’épisode des prêtres-ouvriers – condamnés par Rome en 1954 –, dont lui, le grand bourgeois, n’hésitera pas à défendre la cause. Il écrit :
La classe ouvrière, presque totalement déchristianisée, recèle désormais, au plus intime de son être, des hommes qui lui appartiennent, qui se sont donnés jusqu’à se confondre avec elle, et qui ne peuvent pas se donner eux-mêmes, sans donner le Christ.
Un engagement en pleine conformité avec l’Évangile que Mauriac poursuivra avec une identique détermination au moment du Concile Vatican II.
Partisan de l’indispensable aggiornamento opéré par le pape Jean XXIII, pour l’unité des chrétiens, l’ouverture au courant interreligieux comme pour la réforme liturgique, il n’en demeurait pas moins dans l’espérance. Dans La Paix des cimes, il commente :
Il n’est pas sacrilège d’espérer qu’aux grands changements qui s’accomplissent d’ores et déjà dans l’apostolat catholique correspondra un jour, une évolution dans la politique officielle de l’Église, dans sa diplomatie, dans son décor et dans son style, dans le ton des rapports qu’elle entretient avec les différents groupes humains.
Tout un pan inédit de la pensée intime de François Mauriac, à la fois fidèle et incisif face à l’Église catholique que Philippe Dazet-Brun, nous restitue avec autant d’acuité que d’objectivité. Passionnant !
Dazet-Brun, Philippe, Mauriac dans l’Église ou La fidélité aux aguets, Le Cerf, 10/11/2021, 1 vol. (328 p.), 24 €.
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