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Mémoires d’un poète gabonais: vérités et sacrifices familiaux

Stève-Wilifrid Mounguengui, Tu as fait de moi celui qui enjambe le monde, Éditions du Mauconduit, 07/04/2023, 1 vol. (134 p.), 13€

Tu as fait de moi celui qui enjambe le monde est une autobiographie dans le sens où l’auteur, le narrateur et le personnage principal sont une seule et même personne. Depuis Jean-Jacques Rousseau et ses Confessions, et par un pacte de sincérité inhérent à l’autobiographie, Stève Wilifrid Mounguengui s’engage à dire la vérité, rien que la vérité. Né en 1976 à Mouila, au sud du Gabon, il travaille actuellement en France, dans le milieu éducatif et social en Seine-et-Marne, à Lieusaint. La magie de son verbe lui permet de s’adresser directement à sa mère en lui rendant ainsi un hommage sincère et vibrant : « J’écris toujours en face de toi si ce n’est à tes côtés ». Il fait le geste qui la garde en vie : « une manière de vouloir la faire demeurer ». Par moments, on se croirait avec Gaël Faye, l’auteur de Petit Pays, mais l’écriture ici est beaucoup plus intimiste, parfaitement autobiographique.

Yaya, la mère courage

Depuis son exil dans la région parisienne, Stève Wilifrid Mounguengui dresse par touches successives le portrait d’une femme courage. C’est une mère Goriot qui se dépouille pour tous : « C’était toi, ta générosité. Ton pardon. Tu pouvais être féroce quand un de tes enfants était maltraité. Tu étais une lionne. Tu pouvais renverser la terre. » Mais parler de la mère implique forcément l’évocation de l’enfance et donc du pays natal. « Il n’est pays que de l’enfance », écrit Roland Barthes dans La lumière du Sud-Ouest.
Vivant désormais au « Pays-des-Blancs », l’auteur se souvient de cette Afrique faite de chaleur, de couleurs et de senteurs. Malgré tout l’amour que sa mère lui portait, l’enfant a connu beaucoup de privations, surtout quand il était lycéen à Libreville. Et puis, ce n’était pas toujours facile à la maison. Le petit Stève ne trouvait pas sa place car chez sa mère, il y avait un autre homme, et chez son père, une autre femme. A présent qu’il est adulte, et lui-même père de famille, il regrette d’avoir été cet enfant égoïste :

Je devais te laisser une chance de refaire ta vie. Il m’était seulement impossible, à ce moment là, de trouver ma place dans cette vie. Le problème venait de moi. Pas de toi. Au contraire, j’ai toujours su quelle place tes enfants avaient dans ta vie. J’ai toujours su que tu aurais donné ta vie pour nous rendre heureux. Alors je suis parti.

Quand le fils veut tenter sa chance en Europe, Yaya se défait de toutes ses économies et les lui donne. Elle ne le retient pas car au fond d’elle, elle juge que les parents ne possèdent pas leurs enfants. Quand les oiseaux peuvent voler de leurs propres ailes, ils quittent le nid et font leur vie à leurs risques et périls, c’est tout naturel. Pétrie d’amour et d’abnégation, Yaya force l’admiration. C’est une autre Mama Africa, une autre Miriam Makeba.

Pars mon enfant

Un pays dont les dirigeants ne se donnent pas la peine d’assurer l’éducation, la santé et le pain pour leurs ressortissants n’est qu’une mascarade de pays, surtout s’il s’appelle le Gabon, l’un des pays les plus riches d’Afrique grâce à son pétrole, son bois et son manganèse notamment, et sa très faible population. Alors, et comme des centaines de millions d’autres Africains, le jeune Stève croit dur comme fer que l’herbe est plus verte ailleurs. Et puis, il est animé par le désir d’écrire, il se veut poète : « La faim et la solitude étaient le feu de la forge intérieure où se façonnaient mes rêves. »
En Europe, il réussit certes sa vie, mais à quel prix ? Il vit au quotidien les affres de l’exil, le déchirement entre deux, voire plusieurs cultures. Il connaît chaque année le froid et la grisaille des villes du Nord. « Emmitouflé dans cet hiver qui s’empare de vous comme une longue nuit« . Il rate les funérailles de Yaya et ses enfants ne connaîtront jamais leur grand-mère. Pourtant, il voulait revenir avant qu’il ne soit trop tard, mais sa mère lui répétait chaque fois au téléphone : « Ne viens pas mon enfant. Laisse-moi partir, ce n’est pas grave. Je vais rejoindre les miens. »

Écrire pour rendre présents les absents

L’auteur rentre tout de même au pays et se recueille sur la tombe de sa mère. Et puis, grâce à ce livre, sa Yaya sera toujours là, et sa photo sur la couverture lui rend justice, elle, cette très belle femme africaine. Dans le dernier chapitre de son livre, l’auteur s’adresse à son lecteur et sollicite sa sympathie :

A travers quelques scènes de vie, tu as découvert le visage de Célestine Dianga Migueli. Ma mère. J’ai voulu lui rendre hommage. Sans elle, je ne serais pas ce rêveur. Celui qui écrit des lignes sur le bord de l’aube et qui enjambe le monde.

Tu as fait de moi celui qui enjambe le monde est tout simplement un merveilleux hymne à l’amour maternel et au désir de vivre pleinement sa vie.

Stève Wilifrid Mounguengui est né en 1976, à Moulia, dans le sud du Gabon. Il travaille dans le milieu éducatif et social et vit en Seine-et-Marne, à Lieusaint. Il publie plusieurs recueils de poésie. Tu as fait de moi celui qui enjambe le monde est son premier récit.

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