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David Clair, Moi, Jean de la Croix, Le Cerf, 11/05/2023, 1 vol. (186 p.), 18€.

Jean de la Croix s’était retiré au couvent andalou de La Penuela, lorsqu’il se rendit compte de la gravité de son état. Une infection aiguë de la jambe dont la douleur lui devenait de jour en jour plus insupportable. Afin de remédier à son mal, le réformateur de l’Ordre du Carmel consentit à se déplacer au monastère voisin susceptible de lui prodiguer les soins nécessaires. Mais face à la gangrène envahissante, le chirurgien ne lui sera d’aucun secours.
C’est donc à Ubeda et dans d’atroces souffrances, que l’ami et confident de Thérèse d’Avila va se mettre à parler. À établir le bilan mouvementé et ô combien prégnant de son existence dans laquelle David Clair nous fait pénétrer avec autant de subtilité que de sensibilité.
Pour aborder sous forme fictionnelle la pensée d’un mystique à l’œuvre des plus hermétiques, il fallait autant de connaissance que de pédagogie. Une double tâche dont l’auteur s’est acquittée à la perfection.
Dès les premières phrases du prologue, le lecteur est appâté. En faisant dialoguer le Saint avec lui-même d’abord, puis avec Celui qu’il n’a cessé de quêter sa vie durant, David Clair nous fait pénétrer en son intime, aussi intensément que par le biais d’un journal.
Ainsi, écrit-il :

Je sais qu’il sera bientôt l’heure de quitter mon enveloppe corporelle. Voici que l’entièreté de ma vie se présente à moi et que ses épisodes m’apparaissent dans la grande lumière de la vérité. Je me sens d’une lucidité absolue, capable de distinguer ce qui a compté et ce qui n’a pas compté. C’est d’une introspection qu’il s’agit. D’une page à tourner. 13 décembre de l’an 1591 ? C’est le moment de le faire, car demain il sera trop tard.

L’adolescence, matrice d’un vécu

Le contexte précisé, la chronologie autobiographique va s’articuler en trois grands chapitres référents à ces principaux traités. L’amour, en relation avec La vive flamme d’amour pour les six dernières années de sa vie ; La Nuit reliée à la célèbre Nuit obscure ; et la Liberté qui commence le livre.
Consacrée aux premiers temps de son existence qui le mèneront jusqu’à la prêtrise, cette première partie est d’emblée attrayante. Parce ce que l’on suit le chemin malaisé d’une enfance andalouse, où le petit Juan, tôt orphelin d’un père, va errer de ville en ville, au gré des petits travaux d’une mère protectrice. Puis, en découvrant son désir d’assumer dignement les aléas d’une situation qui demeureront la matrice de tout un vécu.
L’auteur fait dire l’auteur dans la bouche de son héros :

Cette vision du désespoir humain ne m’inspira pourtant aucune peur pour moi-même. Je ressentais pour ma mère et mon frère un immense sentiment de compassion, mais aussi paradoxal que cela puisse paraître, je percevais distinctement cette petite voix qui me disait qu’il fallait affronter le présent avec courage, que tout ne s’arrêterait pas là, et que, même quand tout semble perdu, il y a toujours un espoir. À ma mère et mon frère, j’avais envie de dire : N’ayez pas peur. Je sais que l’on veille sur nous.

Ces années d’adolescence évoquées, David Clair aborde ensuite celles de l’éveil spirituel et intellectuel en s’attardant sur la passion des mots qui allaient prendre une si grande place dans la vie du futur Saint. Il souligne ainsi :

Les mots, je compris très vite qu’ils n’étaient pas seulement ce qu’ils avaient l’air d’être. Ils avaient un sens et une sonorité bien sûr. Mais ils avaient aussi une couleur et une saveur. Dès mon premier contact avec eux, j’ai senti leur pouvoir de me transporter hors de moi-même. J’ai compris également combien la foi et le lien avec toi pouvaient trouver en eux un support actif et vivant.

La rencontre clé avec Thérèse d’Avila

Après avoir relaté l’intérêt pour l’écriture appelé à jouer un si grand rôle dans l’avenir du poète, l’auteur détaille ensuite les premières étapes de son engagement sacerdotal.
Un temps prééminent dans sa formation où, plutôt que de s’attarder sur les spéculations théologiques d’Augustiniens et de Dominicains, Jean de la Croix privilégie l’Évangile comme l’unique guide. Un attachement à la Parole qui donnera pleinement sens à sa vocation. “Prêtre, je n’étais plus seulement certain de partir à ta recherche en solitaire, il devenait désormais de ma responsabilité d’être aussi un chemin par lequel pourraient passer ceux qui voudraient trouver le Christ”, indique-t-il.
Une forme d’apostolat que la rencontre avec Thérèse d’Avila allait très vite renforcer. Entre les deux la symbiose s’installa d’emblée et le projet de réformation du Carmel que la future Sainte lui assigna comme elle était en passe de la réaliser pour l’ordre féminin des Carmélites, constitua dès lors la mission de Jean de la Croix.
Une mission délicate, rendue plus difficile par l’hostilité croissante de plusieurs responsables de son ordre qui, par-delà moult sévices valut au jeune Carme de longs mois d’emprisonnement. C’est durant ce temps de souffrance que le fondateur du Carmel écrivit “La nuit obscure”. Une rude période d’enfermement et de souffrance, mais qui était aussi “pour l’âme emprisonnée par le corps et les attachements, ce temps de ténèbres indispensables pour devenir libre”.

Une figure centrale de la foi catholique

Après des années d’épreuves, Jean de la Croix connaîtra par la suite une décennie d’activités prolifiques (1580-1590) qui le verra fonder plusieurs collèges Déchaux comme alterner diverses fonctions de prieur. Sa période la plus féconde que le poème “La vive flamme d’amour” restituera avec autant d’éclat que d’humilité.

Notre nord, c’est l’amour. Alors, il faut se laisser faire, se rendre disponible. Nous avançons, guidés par cette tension du désir et ta parole qui nous font approcher du mystère. Un jour, la rencontre se produira. Oui, ce jour arrivera. Il ne peut en être autrement. Cela prendra du temps. Plus ou moins, mais c’est inéluctable. Il n’y a pas d’autre voie.

relate David Clair pour expliciter la pensée du réformateur du Carmel.
Un temps, les épreuves traversées laisseront ainsi place à l’exaltation, à la liberté retrouvée avant qu’à nouveau les antagonismes resurgissent. Pour tenter d’étayer le bien-fondé d’une réforme et du rêve mystique qui avait été celui de la Sainte d’Avila, Jean de la Croix eut beau aller plaider près de nombreux prieurs d’Andalousie, rien n’y fit.
Alliées aux puissances terrestres comme à celles du roi d’Espagne, les forces de l’esprit demeurèrent impuissantes. Destitué de toutes ses fonctions, il achèvera sa vie comme simple moine au couvent d’Ubeda à l’âge de quarante-neuf ans, “passé lentement du statut marginal de l’Église à celui de figure centrale de la foi catholique”, comme le précise l’auteur dans la postface.

Le résumé d’une biographie romancée, aussi bien écrite que parfaitement documentée, qui nous replonge dans la vie d’un Saint hors du commun, par ailleurs considéré comme l’un des plus importants poètes lyriques de la littérature espagnole.

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Chroniqueur : Michel Bolassell

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