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Michel Maffesoli, Logique de l’assentiment : dire oui à la vie, Le Cerf, 19/01/2023, 1 vol. (219 p.), 20€

Michel Maffesoli, sociologue de 79 ans, est connu à l’échelle internationale. Il  est membre du Conseil National des Universités ainsi que de l’Institut Universitaire de France. Il occupe également la position de Professeur Émérite à l’Université de la Paris-Descartes. Descendant d’immigrants italiens et ayant des origines ouvrières, Michel Maffesoli est un exemple de progression académique et sociale par le biais de l’éducation, dans le cadre de la méritocratie républicaine.
Il a écrit environ quarante livres au cours de sa carrière. En 2023, il publie Logique de l’assentiment aux éditions du Cerf. Le titre, quelque peu énigmatique, est accompagné du sous-titre “Dire oui à la vie”. Il est pertinent de mentionner que cet ouvrage semble s’inscrire dans la continuité de son premier livre, “Logique de la domination”, publié en 1976. De plus, Logique de l’assentiment aborde de manière plus approfondie et théorique des thèmes présents dans Le temps des peurs, publié en 2021, ainsi que dans L’Ère des soulèvements que nous avions chroniqué sur notre site.

Exploration du concept de l'assentiment et ses influences

Le mot assentiment vient du vieux Français “assentir” qui vient lui-même du latin “assentire” qui veut dire approuver, accepter. Alors que, selon “Le Trésor de la Langue Française”, assentiment a pour définition : ”Acte de l’esprit par lequel on donne son adhésion à une idée, à une opinion que l’on reconnaît pour vraie.”
Selon l’auteur, l’assentiment va de pair avec une approche qu’il caractérise d’eschatologique, à savoir le renouvellement régulier de ce qui est. Ce qu’il rapproche de la palingénésie, nouvelle naissance universelle des stoïciens.
De même, les stoïciens avaient, d’un terme fulgurant, bien décrit un tel mécanisme : “ekpurose” signifiant la conflagration ou l’embrasement, “c’est-à-dire la destruction par le feu d’un monde à l’agonie, ce qui pouvait permettre une efflorescence nouvelle.”

Implication de l'assentiment dans le contexte sociétal

Pour l’auteur nous sommes dans un moment de rupture, la fin d’un monde et la naissance d’un autre. Ce moment qu’il nomme. “Période” peut s’étendre sur quelques dizaines d’années, contrairement aux “Époques” de notre Histoire (Antiquité, Moyen-Âge, Renaissance…) qui, elles, durent plusieurs siècles. L’auteur sent bien que l’Époque Moderne basée sur le progrès matérialiste sans fin tel que l’avait théorisé Marx, s’essouffle de plus en plus. Il y a cessation de la confiance entre le peuple et ses élites, les élections font de moins en moins recette. Il y a une déconnexion et une méfiance vis-à-vis des politiques, des intellectuels, des journalistes… “L’autonomie rousseauiste” qui marque le triomphe de l’individualisme avec le “Contrat Social” est de moins en moins de mise. Nous glissons progressivement du “je” vers le “nous” et le bon sens populaire s’empare de cet assentiment qui est de dire oui tout de même à la vie, de s’adapter tant bien que mal à ce monde qui change sans chercher à le modeler. C’est une sagesse de vie de tous les jours.
De fait, la réflexion de l’auteur s’articule autour de différents axes et se nourrit de différents auteurs.

Richesse de sources d'inspiration

Nous pouvons citer John Henry Newman (1801-1890) et de son livre “La Grammaire de l’Assentiment” paru en 1870. Il s’agit d’une réflexion de plus de vingt ans sur les voies de la connaissance dans l’esprit de l’homme. Michel Maffesoli veut montrer qu’il existe une connaissance procédant par intuition et rappelle que Newman développe dans son livre deux notions : l’assentiment notionnel, purement intellectuel et un assentiment réel qui est lié à la personne. Après avoir défini ces deux sortes d’assentiments, Newman développe deux notions : celle d’adhésion et celle d’inférence. L’adhésion est l’assentiment sans réserve à la vérité, alors que l’inférence est le raisonnement qui conduit à celle-ci. On voit que l’affaire ne manque pas d’être ardue.
Michel Maffesoli rappelle que Newman nomme cela “sens illatif” (connaissance qui procède par intuition, par inférence immédiate), l’auteur nomme cela “raison sensible”.
Autre source inspirante pour l’auteur qui s’appuie sur Karl Löwith et Carl Schmitt, et montre en quoi “le mythe progressiste n’était qu’une sécularisation du messianisme judéo-chrétien” : l’histoire du salut se “profanise” en économie et l’eschatologie chrétienne aboutit à la marchandisation du monde.
L’auteur s’appuie également sur saint Thomas d’Aquin et sa “Somme Théologique” (Croire c‘est penser avec assentiment…), ainsi que Pitrim Sorokin, sociologue Américain né en Russie en 1889 qui a beaucoup travaillé sur l’altruisme et tenant de l’idée de saturation : “un sel dissous dans un liquide ne se voit pas avant que la saturation soit atteinte et finalement ne se voit qu’à partir du grain de trop“.

Peut-être est-ce cela, pour reprendre la formule spinozienne bien connue qui permet à "l’état" (statut) individuel et à l’état collectif ou ordre des choses de persévérer dans leur être (in suo esse perseverare conatus). Ce "conatus" bienvenu rappelle que l’intellect n’est que l’outil de nos instincts. Il n’est libre de rien. Sa grandeur ou son efficacité, ce qui revient au même, réside dans sa capacité à s’ajuster aux instincts, fondements ancestraux de la culture et de la nature humaines.

L'assentiment, une philosophie de vie

Il y donc dans l’assentiment – dire oui à la vie – un espace de liberté permettant de conduire sa vie, la reconnaissance et l’acceptation de la nécessité en sont les conditions.
Comme l’indique l’auteur dans ses prolégomènes, “ce livre n’est pas fait pour les amateurs d’idées reçues” alors, si vous prenez la peine de le lire, il nourrira sans aucun doute votre réflexion sur “la transmutation épochale” que ces temps incertains nous font vivre….

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Chroniqueur : Dominique Verron

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