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Thierry Lentz & Jean Lopez (Directeurs), Les Mythes de la Grande Armée, Tempus (Perrin), 07/05/2025, 432 pages, 11€

Mythe : “représentation de faits ou de personnages réels ou imaginaires déformés ou amplifiés par la tradition. » (dictionnaire le Robert)

S’il est bien une production d’éditions qui bat un record mondial, c’est sans aucun doute celle qui a trait au 1er Empire français et particulièrement à son personnage principal : Napoléon 1er. Il n’est pas une semaine, voire un jour sans qu’un nouvel ouvrage ne paraisse pour confirmer ou remettre en question l’épopée napoléonienne. Aucune bataille, aucun acteur de cette fabuleuse aventure, aucune des décisions prises – ou non prises ! – n’est passée à travers les mailles du filet de véritables historiens ou de sombres charlatans. Les années passant, de nouvelles « archives », de passionnants colloques ou des trouvailles archéologiques ont modifié ou confirmé l’Histoire et ses intervenants.

Thierry Lentz, grand historien amateur de Napoléon et Jean Lopez tout aussi expert en faits militaires, ont mobilisé une escouade de spécialistes de la chose impériale qui vont démonter de manière factuelle mais réaliste une série de poncifs qui ont fait long feu. Notons tout de même que le titre de ce travail aurait mérité de porter un autre nom et de s’appeler « Les mythes de l’Empire ».

Sur quels critères s’appuient aujourd’hui les certitudes que l’Empereur porte sur son dos comme un immuable fardeau ? C’est sans aucun doute la personnalité intime de l’homme qui nous attire et parfois nous trompe. Dans ses propres écrits, dans les souvenirs quelquefois tronqués de certains de ses contemporains, une version idéalisée ou diabolisée accompagne notre libre arbitre au point quelquefois d’obérer le jugement le plus sommaire. Force « historiens de pacotille », nés des dizaines d’année après cette période capitale de l’histoire, se font les chantres d’une nouvelle historiologie qui, pensent-ils à raison, leur fera de la publicité pour écouler leurs productions littéraires truffées d’anecdotes tirées d’on ne sait où.

Cependant, il serait injuste de ne pas se poser les bonnes questions et c’est ce que font les acteurs de cet ouvrage. Tout commence par Napoléon lui-même. On le dit le maître sur son empire. C’est lui seul qui contrôle absolument tout ce qui se passe en France comme ailleurs. Nous prétendons penser qu’il lui est difficile de diriger les troupes au fin fond de l’Andalousie ou d’imposer ses volontés dans la gestion de la cité de Naples. Gageons que si la chose avait été possible, le cours de l’histoire s’en serait autrement ressenti. L’homme, dont personne ne met en doute l’intelligence et la capacité de travail, aurait été réticent à toute sorte de modernisme et aurait freiné des quatre fers toute innovation permettant d’améliorer le sort des soldats et de permettre d’optimiser le sort de la bataille. Rien n’est plus faux. Le télégraphe optique, les péniches de transport, les montgolfières et même la manœuvre appuyée par une puissante marine ont fait l’objet d’une étude approfondie et seule la fortune en a voulu autrement.

Les absents ont toujours tort, surtout deux cents ans plus tard. Aussi, ai-je l’honneur de porter à votre connaissance les faits suivants : l’Empereur des Français était infaillible lorsqu’il s’agissait de la chose militaire. Mieux, ses actions tactiques auraient mis fin, grâce à la manœuvre, aux nécessités de la poliorcétique (entendez l’art de mener un siège). On en viendrait à oublier Dantzig ou Gérone. Il aurait cherché, au cours de toutes les campagnes, la bataille décisive. On peut d’interroger. Quel grand stratège n’aurait pas fait de même ? En tous les cas, cela ne s’est jamais produit car chaque victoire française – ou presque – s’est poursuivie par des escarmouches jusqu’au forcing et la signature d’un armistice – j’ai bien dit « armistice » – signé le couteau sous le menton.

La légende napoléonienne ne se conçoit pas sans la troupe. Celle-ci, entraînée, endurante, rustique, débrouillarde au possible est menée par des cadres expérimentés, ignorant la peur et prompts à dégainer le sabre à la moindre escarmouche ; bref, exerçant un ascendant merveilleux sur leurs hommes. Pour autant, leur chef suprême était-il adulé par les petites mains de la Grande Armée ? Pour ceux qui le côtoyaient, Vieille Garde moustachue et proches collaborateurs, sans hésitation aucune. Ils l’ont prouvé à de multiples reprises, refusant même de lui survivre. Il n’est cependant pas certain que les « Marie-Louise » de 1814, dont le fol courage dont ils ont fait montre alors qu’ils étaient encore mineurs, n’aient chargé à la baïonnette pour le Grand Homme ou pour le salut de leur terre.

Pour ce qui est de la bagarre, de doctes connaisseurs nous apprennent que celle-ci se gagne à la baïonnette. Je rappelle à toutes fins utiles que lorsque vous pointez votre fusil modèle 1776 précédé d’une arme blanche, votre adversaire emploi la même méthode. L’un et l’autre des duellistes évitent donc d’en arriver à cette extrémité, d’autant plus que le canon fait mieux en matière de décision. De même, nous sommes contents d’apprendre que notre belle cavalerie, menée au galop et sabre au clair et maître du destin, quand bien même, il faut l’avouer, elle y contribue parfois. Dans ce contexte de fureur et de violence, la ligne anglaise est supérieure tactiquement à la colonne française. C’est pour cela que les rares fois où les soldats de sa Gracieuse Majesté ont eu le dessus sur les Français, ils manœuvraient en colonnes et les Français… en ligne !

Revenons aux chefs, si vous voulez bien. Napoléon aurait dit : « chaque soldat a un bâton de maréchal dans sa giberne ». À César ce qui est à César, ce n’est pas l’Empereur qui a prononcé cette phrase mais Louis XVIII en 1819 à l’École Polytechnique. Cela dit, il est vrai que les grands chefs de l’Empire pouvaient se targuer de cet adage. La formation d’une armée d’élite ne permettra pas longtemps à des cadres de ne pas subir une instruction extrêmement poussée. Davout serait le meilleur des maréchaux. En effet, taciturne, antipathique, observateur réfléchi, il fait partie de l’élite des maréchaux. L’Empereur avait dit de Soult, plutôt médiocre par la suite, que c’était le plus fin des manœuvriers à Austerlitz. Personnellement, je penche pour Masséna ou Moncey. Comme quoi…


Et si nous parlions d’argent ? Afin de martyriser au mieux la mémoire des soldats de l’Empire, de fins connaisseurs prétendent que le blocus continental imposé aux Britanniques ne pouvait pas marcher, que la Grande Armée vivait sur le pays et que, comble d’obscénité, la guerre finançait la guerre. En d’autres termes, Napoléon aurait provoqué des guerres afin d’autofinancer… ses guerres. Je vous laisse juger par vous-mêmes.

« Avec des si, on mettrait Paris en bouteille ». Rien n’est plus vrai et les « spécialistes » s’en donnent à cœur joie dans ce domaine. De sombres conférenciers, dont l’arrogance n’égale que la méconnaissance des choses de la belligérance, nous livrent, après de nombreux exemples que la guerre napoléonienne préfigure la Première Guerre mondiale, comme l’année 1812 préfigure 1941 ! Curieux amalgame entre une armée impériale et les hordes nazies. L’invasion de l’Angleterre ne pouvait pas réussir, assènent certains tandis que d’autres expriment leur savoir en affirmant que Napoléon ne pouvait pas gagner à Waterloo.

Au terme de cette chronique menée au son de la charge de la cavalerie légère, ma conclusion personnelle, en tant que modeste historien militaire, est que ce livre est nécessaire à la lecture, afin que chacun se fasse, grâce aux explications délivrées, une opinion sur les évènements majeurs de l’épopée impériale.

Image de Chroniqueur : Renaud Martinez

Chroniqueur : Renaud Martinez

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