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Nicolas Seydoux, Le cinéma, 50 ans de passion, Gallimard, janvier 2024, 464 p., 27 €.

Le cinéma, 50 ans de passion est écrit par un passionné – le contenu et l’intensité des mots ne peuvent tromper – rendant d’emblée l’ouvrage passionnant pour le lecteur. Comment définir un tel livre ? Ce pavé dans l’Art – le septième – de quelque 450 pages est à la fois des mémoires cinématographiques, une histoire du cinéma français, une économie du cinéma, l’étude d’une multinationale de cinéma, des anecdotes de films, des portraits vivants d’acteurs, réalisateurs, producteurs, auteurs-scénaristes, musiciens, mécènes, une plongée dans les studios, les chaînes télévisées, les pays, les capitales, les festivals, les salles de cinéma, les institutionnels. C’est un témoignage direct, inédit et précieux, une leçon magistrale sur le monde du cinéma, une encyclopédie sans ordre alphabétique emplie d’avis autorisés qui comblent notre vision du cinéma français. Qu’en est-il plus précisément, au fil(m) de cinq décennies ?

Les années 1970

Héritier de l’empire Schlumberger, Nicolas Seydoux, diplômé de l’Institut d’études politiques de Paris et licencié en droit et en sciences économiques, est nommé administrateur puis vice-président directeur général de Gaumont en 1974, président-directeur général de Gaumont en 1975. Il se sépare du journal d’actualités pour se concentrer sur le cinéma et les films et visite ses cinémas, étonnant les directeurs de salles. La fréquentation des cinémas chute drastiquement et génère les complexes ou multisalles ou porte-avions du cinéma américain, ceux construits comme tels ou nés de la division de grandes salles uniques en trois ou quatre petites salles. Seydoux multiplie les emplacements dans les métropoles : Saint-Étienne en 1976, avec Claude Brasseur qui, pour Un éléphant, ça trompe énormément, dit au public qu’il n’aime pas le foot, Montpellier en 1977, avec Isabelle Adjani, jeune star de Violette et François, qui se fait déjà attendre. Nicolas Seydoux voue un amour tendre à Henri Langlois, son père spirituel – avec sa compagne et égérie Mary Meerson – dont la rencontre l’incite à créer le Musée Gaumont pour sauvegarder le patrimoine filmique (copies de films) et iconographique (affiches de cinéma), et à Jean-Luc Godard, son frère spirituel, figure de la Nouvelle vague, ami des premiers et difficiles temps, auteur d’une abondante, complice et professionnelle correspondance. « Au-delà de quelques films mythiques, Histoire(s) du cinéma est sans nul doute la meilleure synthèse de la pensée godardienne (…) ainsi résumée : “je suis un philosophe qui écrit avec sa caméra”. Daniel (Toscan du Plantier), ami de sciences Po et compagnon de toujours, est en 1975 le directeur général adjoint de Gaumont. Passionné de musique classique, il écoute religieusement Kathleen Ferrier, son interprète favorite, une femme. Un film le résume, Don Giovanni, non pas un opéra filmé mais un film d’un opéra devant être international – la musique étant universelle – et viser tous les publics, mélomanes, cinéphiles, néophytes. Réalisé par Joseph Losey, le film, jamais amorti, ne décourage pas Daniel qui produira aussi La Bohême de Luigi Comencini, Boris Godounov d’Andrzej Zulawski, Madame Butterfly de Frédéric Mitterrand, Tosca de Benoît Jacquot. Les femmes sont sa grande passion : pour Marie-Christine Barrault, il produit Cousin, cousine, et pour Isabelle Huppert La dentellière et Violette Nozières.

Les années 1980

Pour Maurice Pialat, cinéaste au mauvais caractère proportionnel au talent, chacun a en tête son poing levé à Cannes en recevant en 1987 la Palme d’Or pour Le soleil de Satan produit par Daniel. Nicolas Seydoux est juste derrière Gérard Depardieu qui lui confie : “Barbara m’a toujours appris qu’il ne faut jamais mépriser le public”. Gérard – aujourd’hui entaché par l’affaire née de son voyage en Corée du Nord (qu’allait-il y faire ?) – est pour Seydoux le plus grand comédien de sa génération : “Qui peut être aussi à l’aise dans la lecture des confessions de Saint Augustin, dans l’interprétation de la subtile horlogerie des dialogues de Francis Veber (…), dans les vers doux-amers et nostalgiques d’Edmond Rostand, dans le déchirement et la foi du couple Pialat-Bernanos, dans la rage de vivre et de désespoir de Danton ?” Pialat ne respectait qu’une personne, Gérard, qui le lui rendait. Les années quatre-vingt, avec la concurrence de la télévision qui crée de nouvelles chaînes : Canal+, la Cinq, TV6 (future M6), et voit la Une privatisée, sont La grande illusion de la distribution à l’étranger. En Italie, pays comptant le double de spectateurs qu’en France, un cinéma à la fois populaire, d’auteurs et de grands producteurs (Dino de Laurentiis, Carlo Ponti et Alberto Grimaldi), Daniel et Nicolas, férus de culture et de versions latines, investissent dans les salles : l’Odéon à Milan, l’Opéra Gate à Rome. C’est un désastre ! Le Brésil est une nouvelle mésaventure, les E.-U. une aventure financière avec achat et revente de biens immobiliers. Ces échecs suscitent la vente de nombreux actifs, dont Ramsay, spécialisée dans la littérature, et Érato, spécialisée dans la musique classique. Cette dernière est donnée en 1985 pour un franc symbolique en cadeau de séparation à Daniel, jugé trop déficitaire par Gaumont. Cette décennie, marquée par la dissolution du GIE Gaumont-Pathé décidée par l’État, voit triompher deux films produits par Alain Poiré : La chèvre de Francis Veber et L’as des as de Gérard Oury avec Jean-Paul Belmondo, le gentleman du cinéma français. S’y ajoutent, produits par Patrice Ledoux, 37°2 le matin de Jean-Jacques Beineix, Subway et Le grand bleu de Luc Besson.

Les années 1990

Après les succès de Le Père-Noel est une ordure et Papy fait de la résistance (1982 et 1983), Jean-Marie Poiré revient chez Gaumont en 1991 avec L’opération Corned-Beef produit par Alain Terzian. Comme disait son père, Alain, à propos de Jean Reno : “C’est le seul avec André Bourvil qui ne soit pas prétentieux”. 1993 est l’annus horribilis pour le cinéma sauvé par Les visiteurs qui constitue 10% de la fréquentation nationale, d’où une quadrilogie forte de 25 millions de spectateurs. 1993 est aussi la fièvre des multiplexes, prolongements des complexes, une bonne centaine érigée dans la décennie et caractérisée par des salles plus grandes, des écrans plus larges et des espaces d’accueils vastes et conviviaux, dont ceux de Toulouse, Calais, Valenciennes…

Les années 2000

2000 débute avec les échecs de Vatel (2000) et Les visiteurs en Amérique (2001). Les cinémas Gaumont, déstabilisés par la carte illimitée UGC, fusionnent avec Pathé. 2004, Gaumont se dote d’un directoire. Les films marquants sont L’enquête corse (2004) avec Christian Clavier, 36, quai des orfèvres (2004) d’Olivier Marchal, ancien membre de la BRI qui connaît bien ses affaires, Il était une fois dans l’Oued (2005) de Djamel Bensalah, OSS 117, Le Caire, nid d’espions (2006) de Michel Hazanavicius, La rafle (2009) d’Alain Goldman

Les années 2010

Deux films sont incontournables de cette décennie. Intouchables (2011) d’Olivier Nakache et Éric Tolenado, avec François Cluzet et Omar Sy (césar du meilleur acteur), est le plus grand succès de Gaumont. Le film séduit aussi les E.U. avec un million et demi de spectateurs. Les garçons et Guillaume, à table ! (2013) de Guillaume Gallienne reçoit 5 césars.

Seydoux, dinosaure du cinéma français avec ses 84 ans, n’est pas un industriel du cinéma français mais un entrepreneur culturel. Ayant connu le gratin et le petit monde du cinéma, des deux côtés de la caméra, et tous les stades d’un film : écriture, financement, distribution, projection, il est un humaniste et un philosophe. L’homme croit au pouvoir de la culture, à son avenir et en l’avenir du cinéma, aux salles combles au public enthousiaste. Si le cinéma français doit surmonter la mondialisation uniformisante, la pression des chiffres comptables et la montée du politiquement correct, il doit rester libre et préserver son identité nationale. La dernière phrase de la Conclusion, “Vive le cinéma, vive la culture”, reprend le slogan du bandeau d’annonce du livre : “La culture est à l’humanité ce qu’est l’amour est à la vie”. Les mémoires de Seydoux sont riches d’enseignement. En fermant la dernière page après avoir effeuillé, un peu, beaucoup, la Marguerite – dont les 13 annexes finales (diverses et donnant à nouveau à réfléchir : les filiales, les parts de marché, les répartitions de capital, les fréquentations cinématographiques, le Forum d’Avignon, la culture pour tous…) – on ne peut que remercier l’auteur de nous avoir mis au parfum de Gaumont !

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Chroniqueur : Albert Montagne

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