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Est-ce la couverture dessinée qui évoque le trait d’Hugo Pratt, les personnages hauts en couleurs et leur phrasé martelé, parfois argotique, la prépondérance des dialogues ? Le fait est qu’en lisant « Noir d’Espagne » de Philippe Huet, l’on a souvent l’impression de se promener dans une bande dessinée ou un film à grand spectacle. En empruntant aux codes du 9e art ou du 7e, l’auteur nous embarque avec brio dans une passionnante aventure que seules les grandes périodes troublées peuvent engendrer.
Trouble la période, l’est sans conteste, puisque le roman débute à la fin des années 1930, dans ce temps où les espoirs sociétaux du Front Populaire commencent à perdre en vitalité, tandis que bouillonnent à travers l’Europe entière les marmites haineuses qui finiront par enfanter la Seconde Guerre mondiale. La rouge Espagne est déjà à feu et sang et cristallise sur son sol les tensions et les lignes de fracture qui, peu de temps après, embraseront la planète entière. Vers elle convergent tous ceux qui ont un idéal à défendre, une destinée à accomplir, ou quelque chose à fuir.

Partis du Havre, Marcel Bailleul et Louis Albert Fournier vont accomplir le voyage vers cette Espagne meurtrie. Le premier est docker sur le port du Havre, hanté par la mort récente de son père, lâchement assassiné par un homme dont Marcel apprend qu’il a traversé la frontière pour grossir les rangs de l’armée franquiste. Le second est journaliste, amant d’une grande bourgeoise locale, et envoyé spécial de son journal pour couvrir la guerre civile. Leurs points de vue divergent : la vengeance poursuivie par l’un, n’a rien à voir avec les rêves de gloire à la Hemingway de l’autre, mais chacun d’eux va être confronté aux mêmes horreurs et aux mêmes difficultés d’étalonner ses propres rêves à une réalité moins manichéenne qu’elle ne pouvait paraître. Témoins autant qu’acteurs de l’Histoire en train de se jouer sous leurs yeux, entourés par une foule de personnages secondaires parfaitement croqués par l’auteur, nos héros vont parcourir l’horreur guerrière et tenter d’y dérouler ce qu’ils croient être leur destin jusqu’à un dénouement rouge sang.

Historiquement très documenté, s’attachant à décrire avec précision les lieux, les décors, les batailles réelles ou inventées, « Noir d’Espagne » réussit à instruire le lecteur autant qu’à le divertir. Si Philippe Huet a été grand reporter, homme de presse, il maîtrise également tous les codes du roman d’aventures historique, et parvient à nous surprendre au sein d’un espace et d’un temps dont on pensait pourtant tout connaître. Surtout, l’auteur réussit avec maestria à faire vivre ses personnages et ses situations dans notre propre imaginaire, et à les y imprimer durablement comme le font les meilleures bandes dessinées ou films à grand spectacle.

Alain LLENSE
contact@marenostrum.pm

Huet, Philippe, « Noir d’Espagne », Rivages, « Rivages-Noir », 02/06/2021, 1 vol. (343 p.), 20€.

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C’est un livre qui apaise et élève. Il nous propose le plus beau des défis : accueillir l’autre dans sa totale liberté, sans marchandage. Une lecture essentielle pour réenchanter nos relations.

Apprendre à aimer pour rien, c’est enfin commencer à aimer vraiment.

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