Lionel Renaud, Le spectacle du sexe, L’Harmattan, 14/11/2024, 266 pages, 26€.
Le spectacle du sexe, l’évolution de la consommation du film pornographique des années 1990 à nos jours, montre le visage caché et florissant de la société d’aujourd’hui avec son Dark Side filmique aux foules de visiteurs et visiteuses des vidéos de sexe. Lionel Renaud est chef de bureau au Ministère de la Culture et chargé d’enseignement à l’université de Lorraine. Son étude, documentée et fouillée sur la normalisation du porno dans la société, est issue de sa thèse en études cinématographiques : Le spectacle du sexe, l’évolution de la consommation du film pornographique des années 1990 à nos jours et ses enjeux esthétiques et sociaux, soutenue en 2019 à l’université de Lorraine. Le porno, bête noire des censeurs des lettres et écrans, est plus que jamais consacré par le monde universitaire et cette publication est une version dense mais non censurée (263 pages contre 447) pour publics adultes, les nombreux photogrammes explicites et les tableaux et graphiques explicatifs ayant disparu.
De la salle clandestine au salon numérique : la métamorphose du X
On est bien loin des années 1975 où les rares spectateurs des premiers films pornographiques et d’incitation à la violence bannis et ixifiés s’enferment dans les salles de cinéma quasi clandestines autorisées aux moins de 18 ans. L’une des conséquences directes du contrôle étatique et juridique est l’explosion des cassettes aux nouveaux spectateurs qui viennent, notamment le week-end, louer et acheter, en toute discrétion, des films dans les magasins de cassettes vidéo alors répandus dans la France. Si l’invention du caméscope engendre pléthore de films porno amateur, l’apparition du X à la télévision, sur Canal+ et autres chaînes pour initiés payants, est une étape qui démultiplie l’auditoire. La double révolution du numérique et du streaming accélère la diffusion de manière exponentielle et incontrôlable de la pornographie. Elle la banalise irrémédiablement sur les ordinateurs, tablettes et téléphones portables, l’utilisateur étant libéré de toute contrainte morale et sociale, de tout déplacement gênant et chronophage et de tout paiement (le X étant gratuit sur de nombreux sites spécialisés). La technologie permettant de tout voir à tout moment et tout endroit – exposant même les mineurs, nouvel et imprévu spectatorat avide d’internet – finit de domestiquer à échelle mondiale la vision du sexe, devenu désormais un sujet incontournable, omniprésent et omnipotent, de consultation médiatique, une addiction maladive et compulsive pour certains.
Le web pornographique : une boîte de Pandore sexuelle infinie
Le web pornographique est un cabinet de curiosités X ouvert à toutes les cosmogonies sexuelles, une box à Pandore numérique offrant au chaland qui passe un choix infini de sites, thématiques et sous-menus – amateur, Asiatique, belle-mère, blonde, casting, compilation, Française, lingerie, naine, vintage… – riches en excitations et pulsions scopiques. Les sites spécialisés ne proposent pas uniquement de visualiser – bien que ce soit leur activité principale – ils invitent l’utilisateur à déposer des vidéos, à devenir membre à part entière et à donner des avis qui améliorent le contenu. Ils deviennent de véritables réseaux où le public fidélisé partage ses connaissances et goûts. Certains habitués deviennent Meilleurs commentateurs, Diffuseurs Top, Meilleurs téléchargeurs, Expert, Célébrité, Macro… Face à cette ola, l’État doit mettre un holà, adapter le droit aux nouvelles technologies, lutter contre la pornographie enfantine et protéger les mineurs spectateurs ou acteurs. La loi pour sécuriser et réguler l’espace numérique (SREN) du 21 mai 2024 interdit d’afficher sur écran de contenus pornographiques sans contrôle en double anonymat de la majorité de l’utilisateur. Le 11 juin 2025, l’Arcom a envoyé un courrier à 5 sites pornos de l’Union européenne ne vérifiant pas l’âge. Un arrêté ministériel du 26 février 2025 sur les services de communication au public en ligne et les services de plateforme de partage de vidéos des États de l’UE oblige 17 sites pornos à contrôler l’âge des utilisateurs. Le 15 juillet 2025, le Conseil d’État rejette la demande de suspension de l’obligation de vérification de l’âge de l’un des sites. Consacrant l’intérêt public de protéger les mineurs contre les contenus pornographiques, il considère qu’il n’y a ni entrave à la liberté d’expression de la société ni au droit au respect de la vie privée des utilisateurs majeurs du site. Mais il existe toujours des sites basés hors UE.
L’iceberg du X : essor de la pornographie et tentatives de régulation
Ce livre universitaire, pragmatique et sociologique, s’attache, d’une part, à l’histoire de la montée de l’érotisme et de la pornographie en France, de la naissance du cinéma à nos jours, et à l’évolution des mentalités, strictes et mesurées puis libérales et ouvertes. Il étudie la censure généraliste et classique du sexe à travers de nombreux films interdits aux moins de 18 ans et ixifiés. Il dissèque, d’autre part, ce qui est sa force, l’expérience du porno dans l’espace privé qui permet au spectateur de préserver son intimité et sa pudeur et de consommer librement, sans contrainte et sans limite, en voulant découvrir toujours plus et partager ses attentes. Alors que le nombre de films pornos classiques diminue, celui du net explose, comme le nombre de sites spécialisés, multipliant à l’envi les pratiques et les catégories, banalisant et enchaînant les scènes (s)explicites, suscitant des tentatives étatiques de contrôle tant des contenus que des spectateurs. Véritable iceberg du “Septième hard” à domicile ouvrant sur un monde vaste et insoupçonné, cette étude (d)étonnante est à découvrir sans ambages !

Chroniqueur : Albert Montagne
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