Françoise Henry, N’oubliez pas Marcelle, Le Rocher, 23/08/2023, 1 vol. (192 p.), 17,90€.
Si des thèmes récurrents se dégagent de mes romans, ce seraient sans doute : la solitude, les difficultés, mais aussi la capacité de résistance de ceux qui vivent dans un régime d’oppression, la nature, la mémoire et surtout le silence de ceux qui ne savent pas parler, pas raconter » se confiait Françoise Henry en 2019.
Et nous l’avions découverte avec Loin du soleil paru en 2021 aux éditions du Rocher, laissant la parole à Greta, qu’une maladie condamne à fuir la lumière et qui veille sur son jeune voisin, le mal aimé Loïc, orphelin de mère, que guette la misère, l’illettrisme et les addictions du père. À cet affamé de tendresse, elle attend de pouvoir tendre une main secourable. N’oubliez pas Marcelle est son douzième roman.
Ce titre se veut-il une injonction, une demande, une supplique ?
Pour accorder à cette tante à la vie si discrète un permis d’exister au-delà de la mort, la narratrice a abandonné le tutoiement adopté dans ses précédents opus. Le style reste très personnel, certes classique, la succession des chapitres suit la chronologie d’une existence. Mais dans la forme, le récit s’apparente à un long poème en prose : mise en page aérée du texte, caractères typographiques divers, ponctuation expressive, et surtout une totale abolition du point jugé trop définitif. À l’instar de Claude Simon, Françoise Henry s’en affranchit.
Il n’apparaîtra qu’à la dernière ligne « Final » puisqu’il n’y aura plus rien à dire !
Et de ce fait, le texte va se dérouler dans une absolue fluidité comme le cours paresseux de la Loire sous les arches du pont-aqueduc de la ville natale de Marcelle.
Avec habileté, Françoise Henry entretient un léger flou sur la localisation et sur les liens qui l’unissent à la disparue. Mais il y a tant de menus détails, décrits avec précision, tant de délicatesse et de tendresse dans l’observation, que nous comprenons très vite qu’elle nous fait pénétrer dans l’intimité d’une histoire familiale à peine déguisée.
On retrouve du Annie Ernaux dans la façon dont Françoise Henry interroge une photo d’enfant dans les premières pages de ce nouveau roman. Mais aussi des fulgurances flaubertiennes dans cette description de Christ au Sacré-Cœur (p 117).
Elle prend vie pour nous, cette Marcelle, à travers les épisodes de cette vie si lisse, que troublèrent sans doute des rêves, mais nul amour incarné puisqu’il ne pouvait être question pour cette fille docile, d’épouser un jeune homme fils d’un collaborateur, et d’affronter la colère paternelle.
Petite existence formatée par une éducation conformiste, la solitude et une religion faite de clichés et de naïves certitudes.
Fillette aimée au prénom désuet, grande sœur aimante, fille respectueuse, paroissienne dévouée jusqu’à la plus totale abnégation…
Renoncement au grand élan amoureux, attirance sans doute pour ce vague cousin magnétiseur, qui lui apprit les secrets du pendule aux oscillations hypnotiques, et pour ce grand prêtre bourru et autoritaire, aux yeux de braise, que l’autrice qualifie si joliment de « sombre Heathcliff de la paroisse », de « petite main partout » et de « Grande oreille » pour recueillir les confidences. Ainsi est allée la vie de Marcelle, lisse, transparente comme l’eau du fleuve, si discrète jusqu’aux dernières années, où se libère et se confie l’inquiétude « d’avoir séjourné sur cette terre pour rien. »
Alors, de ce quotidien si humble, une fois encore, comme dans Loin du soleil Françoise Henry, fait surgir une histoire qui se révèle « une trouée de lumière » derrière le sombre rideau de l’oubli qui s’installe. Dans ce nouveau roman, elle sort de l’ombre d’autres visages féminins : celui de Marie-Louise la mère, aimante et soumise à une volonté masculine que nul ne cherche à contester, consciente pourtant de l’ampleur du renoncement exigé de sa fille. Et puis Ya Ya, dans sa sororité ancillaire avec Félicité dans Un cœur simple de Flaubert, ou encore Rosalie dans Une vie de Maupassant.
Et en même temps, elle va donner du sens à l’existence de Marcelle jusqu’à en faire ce beau portrait qui nous touche, comme une photographie sépia que l’on détacherait avec délicatesse d’un album de famille pour mieux l’examiner en évoquant des souvenirs. Puis, on la remettra à sa place et on saura qu’elle y est.
Comme le disait Jean d’Ormesson : « Il y a quelque chose de plus fort que la mort, c’est la présence des absents dans le cœur des vivants. » Par le pouvoir de l’écriture et la volonté d’une petite-nièce, Marcelle sort de la photo, et nous ne l’oublierons pas.
Chroniqueuse : Christiane Sistac
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