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Quand j’ai appris ta mort par un ami, j’ai été bouleversée, bouleversée par la disparition d’un artiste si inspiré, bouleversée par la pensée que plus jamais je ne découvrirai un nouveau roman écrit de ta plume magique. Oui, magique, car pour moi tu étais l’un de ces écrivains qui avait le pouvoir de nous ensorceler et nous téléporter hors du temps, hors de l’espace dès la lecture d’une de tes phrases aux mots enchanteurs et mystérieux.
Le plus bel hommage que je puisse te rendre ne sera jamais à la hauteur de la beauté de ton œuvre.
Grâce à “l’Ombre du Vent”, premier tome du cycle du “Cimetière des livres oubliés”, tu nous as transportés dans la Barcelone franquiste, celle de l’après-guerre. Tu nous as fait cheminer aux côtés de Daniel Sempere, nous nous sommes imaginés choisir un ouvrage au “Cimetière des Livres Oubliés” sous le regard bienveillant d’Isaac, déambuler dans le Barri Gothic, déguster des tapas en compagnie de Daniel et Fermin au Can Solé. Ainsi à chaque fois que je me rends à Barcelone, j’essaie de retracer les pas de ton personnage Daniel, je ferme les yeux et mon esprit divague. Cette première lecture m’a entraînée dans une spirale et j’ai ensuite dévoré les deux autres tomes existants du cycle du “Cimetière des livres oubliés”.
Avec “le Jeu de l’Ange”, tu nous as envoûtés grâce à David Martin cet écrivain maudit, tu nous as effrayés avec l’énigmatique Andreas Corelli et touchés en décrivant cette singulière amitié entre David et Isabella. Se promener autour du lac de Puigcerdá devenait alors une aventure particulière, on s’imaginait la silhouette de Cristina se frayant un chemin à travers les eaux noires et glacées du lac, avançant vers son funeste destin, sous les si belles lumières de ce lieu qui revêt à chaque saison un manteau différent.
“Le Prisonnier du Ciel”, troisième opus, nous a épouvantés par ses descriptions si précises et glaçantes d’une époque sombre de l’histoire espagnole. Tu as su donner une voix à Fermin, cet attachant et coquin personnage, friand de Sugus. Cette voix est pour moi la vraie force d’un écrivain ; elle est le pouvoir de dénoncer l’horreur pour éveiller les consciences et par là même faire passer un message humaniste.
Quelle ne fut pas ma joie quand j’appris que tu écrivais un dernier tome du cycle du “Cimetière des livres oubliés” ! J’ai attendu “Le Labyrinthe des Esprits” pendant de longs mois et quand je l’ai reçu pour mon anniversaire, je l’ai englouti ! Tellement dévoré qu’à peine le dernier mot de la dernière page lu, j’ai aussitôt recommencé ma lecture ! Pour moi ce roman est l’achèvement parfait de tes écrits, “Le Labyrinthe des Esprits” contient tous les éléments qui participent à créer un chef-d’œuvre : suspense, frissons, aventure et émotion. Ta maîtrise des mots et l’ambiance gothique qui enveloppe ce roman nous ont transportés ailleurs, en compagnie de la belle et mystérieuse Alicia Gris, nous avons erré dans les rues de Barcelone ou de Madrid avec toi, sous les faibles lumières du petit matin ou celles crépusculaires du soleil d’hiver. Ses lumières, tu les décrivais si bien qu’on pouvait les percevoir au travers de tes mots et qu’elles rendaient intemporels et poétiques les lieux que tu décrivais. À travers tes multiples clins d’œil aux autres tomes du Cycle, tu as su instaurer une complicité entre l’auteur et le lecteur, un lien qui m’a marquée et qui fait du “Labyrinthe des Esprits” mon roman préféré. Comme tu le disais : “Rien ne marque autant un lecteur que le premier livre qui s’ouvre vraiment à son cœur”.
Tu as aussi produit d’autres œuvres tout aussi remarquables et passionnantes. Le Cycle de la Brume composé des ouvrages “Le Prince de la Brume”, “Le Palais de Minuit” et “Les Lumières de septembre” nous a permis de retrouver notre âme d’enfant. Tel le prince de la brume, nous avons erré près du phare de Victor Kray avec Max, Alicia et Roland, tremblé quand ils ont affronté Caïn et sa malédiction. Nous sommes partis en Inde, dans le palais de minuit, nous avons poursuivi l’assassin de la mère de Ben et Sheere et partagé les trépidantes aventures de la “Chowbar Society”. Puis installés à la Baie Bleue, sous les lumières de septembre avec Dorian et Irène, nous nous sommes embarqués dans leurs péripéties et nous avons frémi avec eux devant Lazarus Jan, ce sinistre marchand de jouets.
“Marina” était ton roman préféré, ce prélude à “L’Ombre du Vent”, illustration parfaite du roman gothique. En nous emmenant sur cette tombe estampillée d’un mystérieux papillon noir du cimetière de Sarria, tu nous as glacé le sang et pris aux tripes en nous faisant perdre nos repères.
Ton génie résidait dans ta capacité à mêler le tragique au comique. Perdus dans les méandres gothiques de tes mots, nous arrivions toujours à sourire, à être ému, parfois aux larmes.
Tu traduisais si bien la dichotomie de notre existence, cet équilibre fragile entre le blanc et le noir. Tu pouvais ainsi nous plonger dans les pires horreurs de l’humanité et nous confronter aux personnages les plus abjects pour ensuite nous extirper de ces abominations et nous projeter dans la tendresse d’une famille, d’une fratrie ou d’une amitié ou dans un univers onirique composé de nos rêves et cauchemars d’enfant.
Tel était ton pouvoir, toi que l’on surnommait “le dragon” car tu avais l’habitude de dessiner un cracheur de feu souriant pour t’aider à trouver l’inspiration. En écrivant cet hommage, j’ai peine à comprendre que toi, “le dragon” tu t’es éteint en ce jour du 19 juin 2020 et que plus jamais tu ne cracheras tes si belles flammes colorées.
Dans “L’Ombre du Vent”, le père de Daniel Sempere dit à son fils : “chaque livre, chaque tome que tu vois, a une âme. L’âme de celui qui l’a écrit, l’âme de ceux qui l’ont lu, ont vécu et ont rêvé avec lui”.
Tu nous as quitté mais ton âme, tes livres, tu ne les as pas emportés avec toi, tu nous les as laissés en héritage, tes mots noircis sur des pages blanches laisseront pour toujours ton empreinte, ton souvenir et ton génie dans nos cœurs.
De nouveaux lecteurs te découvriront et ainsi ta magie ne s’éteindra jamais. Tes fidèles lecteurs feront vivre ta mémoire en lisant ton œuvre encore et encore, ainsi Carlos Ruiz Zafón, tu seras éternel.

Morgane BOBO
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