Voilà une nouvelle enquête de Chloé Bourgeade ! Elle surgit de la plume de Gérard Streiff écrivain et journaliste bien connu des amateurs du genre polar réaliste pour ses livres toujours ancrés dans des évènements politiques, revisités par un regard contemporain. Il s’inscrit, comme ses amis Didier Daenincks et Pierre Bourgeade, dans la lignée des écrivains dits “historiens fictionnels”.
Son héroïne dont le patronyme semble un signe de connivence avec ce dernier auteur vénéré, a été journaliste pigiste à la revue “Les papiers nickelés” (cf Napalm d’or). Elle est depuis peu détective privée de l’agence Le Sémaphore “Enquêtes, recherches, filatures” dirigée par la sémillante et déterminée “patronne” Marike Créac’h.
Celle-ci, connaissant les goûts de Chloé pour l’Histoire et sa solide formation universitaire, n’hésite pas à lui confier les enquêtes où elle pourra le mieux exprimer ses compétences et sa perspicacité. Aux collègues, les faits divers et les violences conjugales !
Chloé peut toujours compter dans ses investigations sur le soutien inconditionnel apporté par Raphaël Cineux, alias “Racine”. Ex-ponte des Archives nationales à la carrière contrariée par sa conscience civique, il est chroniqueur du port de l’Arsenal à la Bastille. Ce sexagénaire entreprenant semble, quant à lui, avoir quelques points communs avec l’auteur, lui-même descendant de Jean Racine et grand fouineur d’archives !
Chloé et Racine cohabitent dans une proximité libre et décomplexée sur l’Andante, péniche stationnée dans le port L’enquête démarre sur la mort jugée suspecte d’un certain Leglay policier parisien, retraité en Normandie, retrouvé noyé dans une boucle de la Seine. Le fils de la victime apporte un tract anonyme récupéré dans un récent courrier adressé au défunt. Simple photocopie recto verso intitulée “Un groupe de policiers républicains déclare… “, datée du 31 octobre 1961. S’ensuit une description détaillée de faits de violence policière et de crimes commis lors de la répression de la manifestation parisienne des Algériens de France, le 17 octobre précédent. Et une liste de noms parmi lesquels figure le dit Leglay, collaborateur du préfet Maurice Papon. Serait-ce une vengeance ?
Voilà Chloé plongée dans une des plus sombres périodes de l’Histoire contemporaine : la guerre d’Algérie. Pudiquement appelée “opérations en Afrique du nord”, “maintien de l’ordre” ou “pacification”, mais jamais “guerre” jusqu’en 1999 !
Une visite inquiétante d’un homme âgé, aux yeux asiates, la rencontre d’un jeune et séduisant journaliste berbère, puis celles des témoins de l’époque, des morts suspectes qui se succèdent… Les rebondissements ne manquent pas !
Ce roman, très documenté, devrait atteindre un public bien plus large que celui des amateurs du genre, celui de tous ceux qui s’interrogent sur l’opacité d’une période soigneusement enfouie.
De son écriture fluide, Gérard Streiff nous accompagne dans ce passé tourmenté qui instaura sur le sol français une véritable guérilla urbaine et vit commettre les pires exactions par les responsables du maintien de la loi.
Des épisodes récents nous ont montré que le sujet reste d’actualité. Rien n’est occulté des évènements tragiques qui endeuillèrent la communauté algérienne parisienne, prise en étau entre les pressions du FLN et la répression féroce exercée par le préfet Papon. Sans doute deux cents morts pour la sinistre nuit du 17 octobre, et combien de séances de tortures pendant les mois précédents dans le sous-sol des immeubles de Barbès !
Mais s’il se veut avant tout un témoignage solidement étayé, le livre a aussi la fraîcheur de son héroïne et le charme du décor.
Longer le canal Saint Martin avec Chloé le matin, ou traverser la Goutte d’or en direction de Château rouge, c’est retrouver les multiples atmosphères d’un Paris que nous aimons… Une ville qui nous paraît apaisée mais tout est apparence. Le monde est en tourment, l’amant berbère n’a plus donné signe de vie…
Peut-on vraiment chanter avec MC Solar : “Les temps changent” ?
Christiane SISTAC
articles@marenostrum.pm
Streiff, Gérard, “Octobre à Paris”, La Déviation, 07/10/2021, 1 vol. (129 p.), 12€
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