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Trois histoires, trois hommes, trois souffrances qui se rejoignent dans un final poignant.
Avec “The Spinning heart”, Donal Ryan s’est démarqué par la qualité et l’originalité de son style au sein de la prolifique et remarquable production littéraire de son île natale.
Cette première œuvre pourtant longtemps refusée par les éditeurs sera, en 2013, élue “Meilleur livre de l’année” en Irlande, lauréat du “prix de littérature de l’Union Européenne” et finaliste du “Man Booker Price”.
Sa traduction française, “Le Cœur qui tourne“, est parue chez Albin Michel en 2015, suivi par “Une Année de la vie de Johnsey Cunliffe” en 2017 et enfin par “Tout ce que nous allons savoir” en 2019.
Souvent comparé à William Faulkner, Donal Ryan s’inscrit – à ce jour – comme la valeur montante et incontournable de la littérature irlandaise du XXIe siècle.
On notera toutefois que l’écriture ne lui procurant pas des revenus suffisants, malgré un talent reconnu, il travaille aussi dans la fonction publique.
“Par une mer basse et tranquille” est son quatrième roman traduit en français.
Parce qu’il est également nouvelliste, l’ouvrage semble constitué de trois textes totalement indépendants, sensiblement différents par le style, intitulés d’un simple prénom, plus un autre qui se révèle une surprise derrière le titre énigmatique : “Les îles du lac”. Il constitue une conclusion.
Deux des trois premiers textes sont des récits composés par un narrateur omniscient, alors que le troisième écrit à la première personne est un long monologue. Mais chaque texte peut constituer une nouvelle par sa thématique et sa concision, laissant une fin ouverte aux hypothèses de lecture.
Donal Ryan a, jusqu’à présent, situé ses romans dans son Irlande natale, se limitant même au comté rural de Limérick où il a grandi et où il vit : “Ce qui m’est familier, c’est ce qui s’impose”, reconnait-il.
Mais cette fois, il a élargi son horizon, introduisant précisément parmi ses personnages un beau visage d’immigré et un thème d’actualité qu’annonce déjà l’illustration du livre et son titre poétique et ambigu emprunté à un texte rédigé par un adolescent (p166.) : “From a low and quiet sea…”.
Trois personnages principaux donc, tous des hommes, à des âges différents.
Farouk, la quarantaine, médecin syrien, a fui en famille la guerre qui ravage son pays. Victime d’une amnésie traumatique, il est dans un déni absolu, enfoui dans un rêve. Le temps s’est suspendu pour lui dans l’attente de l’impossible retour de sa femme et de sa fille, disparues dans les eaux de la Méditerranée, lors du naufrage de leur rafiot abandonné par les passeurs.
Lawrence dit Lampy, à peine adulte et toujours immature, évolue dans un univers à la Ken Loach. Il ne peut se satisfaire de rien dans sa vie… Surtout pas de sa bâtardise et de sa médiocre situation sociale, bien qu’il soit entouré de l’amour des siens. Et il est plus tourmenté par ses déceptions sentimentales et ses incontrôlables érections que par les exigences que nécessite son travail de chauffeur pour une maison de retraite.
Le troisième personnage est John, un sexagénaire paraplégique accablé par le poids des fautes et des turpitudes diverses qu’il a accomplies dans sa vie. Il cherche par leur aveu à un invisible confesseur, une possible rédemption avant l’inéluctable comparution devant Dieu.
Ces trois chemins de vie vont se croiser dans une quatrième partie qui tisse des liens inattendus entre eux. Et soudain apparaissent des évidences avec un roman remarquablement construit et – contre toute attente dans un univers bien sombre – on va entrevoir des îlots d’espoir avec la réponse à toutes les questions.
Le regard de Donal Ryan se pose sur une société irlandaise malmenée par la crise économique qui accable les classes populaires urbaines ou rurales, mais où certains savent tirer des profits à leur seul avantage.
C’est une société qui reste très marquée par les rites de l’Église catholique irlandaise, mais peut-être plus par les contraintes du catéchisme que par la parole de l’Évangile. On sent que la culture de l’auteur en est elle-même imprégnée.
Une société qui, pour avoir subi la violence des razzias vikings, puis le joug de l’oppression anglaise, se méfie de l’étranger comme étant celui qui dépouille ou agresse, et ne masque pas ni son racisme ni son homophobie.

L’écriture de Donal Rayan contemporaine et magnifique, intensément empreinte de la poésie des paysages ruraux de son pays, fait de lui un grand écrivain. Ce dernier roman lui donne une dimension nouvelle en montrant sa capacité à s’ouvrir sur des univers si loin et si proches à la fois.
Très travaillés, ses longs paragraphes traduisent l’intensité des émotions et des sensations vécues par les personnages avec une totale maîtrise. Ce qui n’est pas dit est suggéré, la peur comme l’impatience, l’inquiétude comme la souffrance. Et le long cri univoque poussé par deux hommes tombés à genoux sur la plage, “ce cri qui se perdit dans le vent qui agitait les flots en soufflant depuis l’Est”, nous broie le cœur comme le dénouement lui-même, qui réunit un temps tous les protagonistes dans leur commune humanité.

Christiane SISTAC
contact@marenostrum.pm

Ryan, Donal, “Par une mer basse et tranquille”, Albin Michel, “Grandes traductions”, 31/03/2021, 1 vol. (245 p.), 21,90€

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