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“Les plus grands écrivains sont incontestablement ceux-là qui charment l’élite et empaument la multitude”, écrivait Edmond Thiaudière en 1896. Sur ce plan, rien n’a changé depuis cette année qui fut celle de la première représentation de la pièce d’Albert Jarry “Ubu roi”. C’est un épisode “ubuesque” qu’a vécu Cécilia Dutter, invitée à une soirée d’anniversaire où elle ne connaît personne. Comme il est d’usage, elle décline timidement sa profession : “auteur”. Caché sous le masque de la politesse, un fat s’enquiert de ce qu’elle écrit : “Des romans et des essais en spiritualité. Aïe je sens que ce dernier mot crée un malaise… De fait, il me rétorque avec véhémence qu’il est athée et ne comptera donc jamais parmi mes lecteurs”. Cornegidouille a-t-on envie de répliquer ! Quel abject et grotesque personnage empli de morgue, de suffisance qui – parce qu’il est bardé de diplômes scientifiques – démontre que Dieu n’existe pas, et parce qu’il n’a “ni Dieu, ni maître”, détourne une devise anarchiste, en affirmant être est un “homme libre ” ! L’incarnation du père Ubu à qui Paul Claudel aurait répliqué : “Choisir Dieu est le seul moyen radical de n’avoir aucun maître”. Il est bien difficile aux âmes de choix de conquérir les âmes vulgaires, et il est bien naïf celui qui se croit libre, car chacun est imbriqué dans tous.

La raison athée et l’humble foi en Dieu suggèrent à l’homme la même conduite. C’est l’enseignement que l’on peut retirer de “Patience du quotidien”. Ce titre empli de promesses – ne s’adresse pas qu’à un public de croyants, bien au contraire. C’est un recueil de billets inédits, de courts chapitres, de réflexions sur ce monde où triomphe l’immédiateté, la laideur de l’égoïsme, le joug de l’incohérence et de l’insignifiant, le “toujours davantage”, le progrès synonyme de l’erreur humaine, le narcissisme dont nous faisons montre au sein des réseaux sociaux, et la dépression qui – tôt ou tard – nous guette. Mais la dépression n’est pas une tare. C’est même un grand honneur d’être inadapté à notre monde, s’il est communément admis qu’il est mauvais. Il est bien rare que – jeunesse passée – on ne désespère pas dans l’humanité.

“Patience du quotidien” n’est pas un énième ouvrage de “développement impersonnel” comme le définit la philosophe Julia de Funès. Voilà un livre précieux contre la déraison humaine qui menace de s’éterniser. La patience est la vertu de ne jamais renoncer. Cécilia Dutter a embrassé la voie de la spiritualité, de la sagesse du cœur, parfois de l’humour, pour parler à nos âmes superficielles, agitées, et qui se débattent dans l’erreur. Hetty Hillesum, qui s’est volontairement rendue à Auschwitz pour “consoler Dieu”, est son mentor. Elle l’évoque à deux reprises. Ce court ouvrage, avec de très belles réflexions sur la mort, Maurice Magre (1877-1941), l’aurait apprécié, lui qui écrivait que : “la mort est le baiser de Dieu”.

Alors que l’on soit athée ou croyant, “Patience du quotidien” nous parle. Il nous parle d’amour, il nous parle de beauté et d’espoir. Il nous réconforte face aux séparations, aux chagrins, à la maladie, aux perspectives des deuils, qui forment le tissu quotidien de la vie. C’est un ouvrage qu’il faut lire après avoir éteint son téléphone portable, qui était interdit au sein du cercle familial de Steeve Jobs. C’est un ouvrage qui permet, un temps, de pouvoir se mettre hors du contact des hommes.

Cécilia Dutter fait partie de ces écrivains n’appartenant pas à la multitude, ces écrivains dont plus le niveau est élevé, moins les lecteurs sont nombreux. Puisse cette équation être enfin fausse, et que “Patience du quotidien” trouve sa place auprès du plus grand nombre.

Jean-Jacques BEDU
articles@marenostrum.pm

Dutter, Cécilia, “Patience du quotidien”, Editions Salvator, 20/01/2022, 1 vol. (112 p.), 12,80€

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