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Shiva Fouladi et Jean-Max Méjean (dir.), Xavier Dolan, la folie des passions, Ed. L’Harmattan, Coll. Champs Visuels, 02/10/2025, 128 pages, 17€.

Xavier Dolan est un réalisateur et acteur québécois, mais aussi un scénariste, doubleur, monteur, costumier, chef décorateur, producteur, qui s’est fait connaître du public lors de la projection de son premier film J’ai tué ma mère à la 41e Quinzaine des réalisateurs à Cannes en 2009. À tout juste vingt ans, il arrive, fougueux et beau, sans crier gare dans l’univers fermé du cinéma, qui plus est, sans avoir fait la moindre école du cinéma ou bénéficié de l’aide de ses parents, et séduit d’entrée public et critiques. Certains le comparent à un Arthur Rimbaud du 7e Art, voire à un Pedro Almodovar. De fait, il confirme son talent en huit films, une série et quatre clips – sans compter les films en tant qu’acteur – et remporte, entre autres, le prix Regards jeunes pour Les amours imaginaires en 2010, le prix du Jury pour Mommy en 2014 (partagé avec JLG pour Adieu au langage), le César du meilleur réalisateur et celui du meilleur monteur en 2017 pour Juste la fin du monde. En vingt ans, il devient un cinéaste incontournable du cinéma contemporain et il redonne au cinéma canadien – plus précisément québécois – sa place dans le cinéma mondial, devenant de fait Membre de l’Ordre du Canada et Chevalier de l’Ordre national du Québec. Cet ouvrage entend faire redécouvrir l’œuvre dense et variée d’un génie précoce, tourmenté et complexe – comme Orson Welles à vingt-quatre ans – d’où deux co-directeurs : Shiva Fouladi et Jean-Max Méjean – et combler le vide des universitaires et des critiques de cinéma qui l’ont peu étudié.

 

Dolan ou la folie des passions

Le sous-intitulé du livre n’est pas pris au hasard et La folie des passions (Shiva Fouladi) semble inspiré d’une déclaration de Xavier Dolan au Festival de Cannes 2016 : « Je préfère la folie de passions à la sagesse de l’indifférence ». La passion est la souffrance amoureuse qui semble encore plus intense et insensée avec les folles amours. En effet, Xavier Dolan n’a jamais rien caché de sa sexualité et l’homosexualité inspire et domine tous ses films. Corroborant cette assertion, Ecce homo (Jean-Max Méjean) est un intitulé qui n’est certes pas christique mais qui symbolise hautement la Passion/Souffrance de l’homosexuel qui se sent rejeté et haï par les autres. Ses amours sont toujours cruelles et difficiles et le font souffrir ; elles lui apportent rarement la plénitude et le bonheur, même dans une société où le mariage est autorisé entre personnes du même sexe, contrairement à ce que la propagande LGTBTQIA + le laisserait supposer. Xavier Dolan, cinéaste de la famille, de l’identité, de la diversité sexuelle et des personnages queers et trans, est gay, mais son choix sexuel n’implique pas qu’il appartienne à la communauté gay et il refuse de recevoir en 2013 la Queer Palm pour son film Laurence Anyways, en déclarant haut et fort son dégoût de l’existence de prix ghettoïsant et ostracisant les gays et récompensant des films gays (car) tournés par des gays. Soulignant derechef la souffrance homosexuelle, Obsessions dolaniennes (Hugo Dervisoglou) est la grammaire psychiatrique d’un cinéma mélodramatique au futur incertain, sombre et tragique, marqué (au sens propre et figuré) par des violences physiques et psychologiques portées par l’impossibilité de communication entre des êtres de culture ou d’origine sociale diverses. Ces quelques thématiques généralistes sont complétées par des analyses précises de films qui décryptent les différentes homosexualités ou différences dolaniennes : Matthias et Maxime (Jean-Max Méjean), Matthias et Maxime et Laurence Anyways (Caroline Masoch), Juste la fin du monde (Jean-Max Méjean), Ma vie avec John F. Donovan (Alexis Leroy).

Dolan ou le cinéaste inspiré de clips et de mini-séries.

Surdoué et touche à tout, Xavier Dolan s’est essayé au clip (Bernard Lonjon). Le court-métrage réduit à sa plus simple expression temporelle – quelque six minutes – oblige l’auteur à faire force création et imagination et à dévoiler en condensé son génie. En 1981, il tourne College Boy pour le groupe Indochine en abordant un sujet brûlant d’actualité, le harcèlement scolaire. Le synopsis est simple, un collégien est harcelé dans un établissement catholique dans un crescendo apocalyptique : lancer collectif de boulettes en classe, casier saccagé, poursuite dans la cour, insultes et coups – tout le monde se voilant la face – crucifixion… Le CSA interdit le clip aux moins de 16 ans mais sa censure contreproductive contre la violence des jeunes donne une plus grande visibilité au clip qui devient viral sur les réseaux sociaux. Il tourne en 2015 Hello (6.07) et en 2021 Easy on me (5.32) pour Adele, puis en 2025, Swing For The Fences (4.18) pour Elton John, un hymne LGBTQIA +.

Xavier Dolan s’est aussi essayé en 2022 à la mini-série télévisée avec La nuit où Laurier Gaudreaut s’est réveillé (Tuğçe Karabacak) pour Canal+, divisée en cinq épisodes. Les films courts d’une heure semblent correspondre à sa dynamique et jeunesse mais ils peuvent aussi masquer un manque de moyens ou l’absence de producteurs et satisfaire aussi les nouveaux supports télévisés en ligne et l’attention des spectateurs pressés. En 2023, Xavier Dolan annonce mettre un terme à sa carrière de cinéaste après le choc de Pour juste la fin du monde qui ne trouve pas de distributeur aux États-Unis et après l’échec de ses deux derniers films et de La Nuit où Laurier Gaudreault s’est réveillé (2022) distribuée dans seulement quatre pays et qui l’a ruiné, si bien qu’il doit emprunter de l’argent à son père. Mais présent au Festival Lumière à Lyon en octobre 2024, il annonce réaliser un nouveau film. Ce sera Rage, une mini-série historique d’horreur se déroulant en 1980 au Mont-Saint-Michel et à Paris.

La conclusion appartient à Jean-Max Méjean : « Certains de ses films deviendront-ils aussi universels que ceux de Federico Fellini, de Stanley Kubrick ou de Luis Buñuel ? Seront-ils encore visibles dans cent ans ? Dolan sera-t-il étudié en tant que cinéaste qui compte ? ». C’est tout le bien que l’on souhaite et la finalité de ce premier ouvrage – illustré de quelques photos couleurs, il faut le souligner – sur un cinéaste qui monte.

Entre érotisme et austérité : la philosophe sur grand écran

Justement, la prof de philo au cinéma, encore plus rare au lycée que le prof de philo (la philosophie est un bastion d’hommes qui tolèrent une femme intelligente mais ne leur faisant de l’ombre) fait du mal au mâle dans la troisième partie. Les corps sont, soit érotisés (blonde Vénus sexy de Fever de Neal), soit niés (bourgeoise rigide du Péril jeune de Klapisch, habits amples et masculins dans Conte de printemps de Rohmer…). Les livres sont pour elles une passion prenante (Jeanne dans la Critique de la raison pure de Rohmer, Nathalie dans L’avenir de Hansen-Love). Enfin, si le prof de philo traverse une crise dans La grande vie de Salinger, celui de la série La Faute à Rousseau est un extra-terrestre dans la lignée du film L’invasion des profanateurs de sépultures de Siegel. Il a l’apparence d’un prof de philo mais il n’en est pas un, il a peu de livres, il ne fait pas lire ses élèves, il n’est pas indépendant et compte sur sa mère. Ironie du Fatum, s’il apprend à ses élèves à devenir adultes, il a du mal à gérer sa propre vie.

Pour conclure, à l’heure où les tablettes, les ordinateurs et l’IA ont une place grandissante au sein de l’Éducation nationale, la place du professeur de philosophie, éducateur ou philosophe, est plus que jamais nécessaire pour construire l’élève. Le prof de philo fait son cinéma dévoile une thématique novatrice et passionnante qui décrypte le mythe d’un mentor méconnu. L’ouvrage – enrichi d’une centaine de photogrammes en noir et blanc argumentant l’analyse – s’adresse aux cinéphiles, aux passionnés et étudiants de philosophie, aux profs de philo (dans plus de 3 000 lycées en France) qui vont se reconnaître ou non. À lire avec sagesse ou avec amour.

Image de Chroniqueur : Albert Montagne

Chroniqueur : Albert Montagne

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