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Zadig Hamroune, La nuit baroque, Éditions Riveneuve, 15/05/2025, 159 pages, 18 €

Les Éditions Riveneuve nous offre un livre peu commun, singulier, qui nous touche et nous bouleverse par la sincérité des mots et la quête du personnage principal. Un ailleurs à construire pour aller plus loin, plus haut… pour se construire au-delà des schémas, et des attendus sociétaux. Le lecteur se déplace dans le temps…

Le Caravage guide un jeune ouvrier vers l’élévation esthétique

Le protagoniste de La nuit baroque transgresse les codes sociaux, familiaux et sexuels de son milieu. L’ouvrage se présente comme un récit d’apprentissage d’un jeune homme normand d’origine ouvrière kabyle, passionné par les arts classiques et baroques, qui choisit comme double artistique le peintre Le Caravage (Michelangelo Merisi da Caravaggio, XVI-XVIIe siècles). Il choisit comme modèle le peintre italien, et dans cette tension entre enracinement social, origine immigrée et quête esthétique, le récit explore l’adolescence, la différence et la transgression. La figure du peintre symbolise la quête de l’autre, de l’art, comme moyen de s’élever au‑dessus du déterminisme social. Le narrateur, lui-même, est issu de l’immigration, de culture ouvrière donne au texte une authenticité sociale marquée. Il est enraciné dans un milieu modeste, et personnellement en quête d’élévation. Le récit traite également de la quête d’un ailleurs : le narrateur voudrait s’élever au‑dessus de son milieu, voire s’y dérober. Cette tension constitue le cœur du livre.

Héritage kabyle et homosexualité : une voix littéraire singulière éclot

Le livre aborde une multiplicité de thèmes (l’origine kabyle, le milieu ouvrier, l’identité du jeune homosexuel) enrichissant les enjeux et les conflits internes du personnage. La marginalité, l’identité et l’homosexualité en sont les marqueurs principaux. Deux univers que l’on pourrait considérer comme aux antipodes l’un de l’autre : l’univers de l’immigration ouvrière, et celui de l’Art. La voix singulière d’un jeune en quête d’un ailleurs, qui est pourtant bien ancré dans une réalité forte et située nous parle et nous émeut. Elle incarne une trajectoire peu souvent racontée : entre héritage migratoire et milieu populaire.

Voyage littéraire entre marginalité sociale, désir baroque et transcendance

La nuit baroque est un roman réussi qui prend le risque de mêler récit social et quête de beauté et de transcendance. Il réussit à donner à voir un personnage en tension : entre la violence du contexte (ouvrier, immigré, minoritaire) et l’élan vers l’Art, la différence, l’homo-sensualité assumée. Ainsi, l’art peut devenir le lieu d’un salut personnel et d’une “réparation”. Le lecteur suit un parcours de conscience et de transformation intérieure. Étant donné l’abondance de références à l’art baroque, au Caravage, aux danses…, le lecteur devra faire un effort pour se repérer dans l’Histoire et dans ces domaines abordés ou suggérés ; à moins d’avoir une culture déjà bien nourrie sur ces sujets. Le fait que le narrateur soit fasciné par les arts baroques et par le peintre milanais constitue un contrepoint à son environnement d’origine. Cela permet de faire jaillir le conflit et le désir de transcendance. Le roman vise à montrer un conflit entre un milieu populaire et une aspiration élitiste (l’Art, la Culture). Cependant, la recherche du narrateur est autre. Le chemin reste difficile, mais tout est ouvert mais…

L’Art comme refuge face à la violence des origines

Il faut accepter que tout ne soit pas “résolu”. Le livre produit une tension. Cette dernière est, de fait, déjà présente dans le contraste entre le quotidien modeste et violent d’un jeune issu d’un milieu populaire, et sa fascination pour l’art baroque. Une dynamique entre la vie ordinaire, l’ambition, la “différence” surgissent au cœur du récit, dans un croisement permanent entre divers lieux : la culture ouvrière, la migration, la passion artistique. L’écriture généreuse et ciselée ne se contente pas de la sobriété. Le texte est rempli d’images fortes et de contrastes nous faisant passer de la sauvagerie au raffinement. Néanmoins, les nombreuses références culturelles ou esthétiques pourraient freiner des lecteurs moins familiers avec ce registre singulier. La nuit baroque réussit à combiner un enracinement social réel et une aspiration esthétique élevée. Le narrateur porté par un désir de transcendance – artistique, sexuelle, existentielle nous accompagne dans sa quête. Cette dualité est le cœur du roman. Le contraste entre milieu ouvri­er et passion pour l’art peut générer une sorte de double mouvement : le personnage “veut autre chose”, mais le chemin vers cette autre “chose” reste souvent en tension. Zadig Hamroune donne une vraie place aux marges.

Entre silence social et beauté artistique, une conscience s’éveille lentement

On reste un peu dans un attendu, au milieu du gué, du fait que l’auteur qui use de l’allusif n’arrive pas au toujours à amener le lecteur vers l’urgence du concret ; ce qui a créé une tension permanente plutôt que d’arriver au terme « réussi » du chemin. Le texte demande du temps, de l’attention et un engagement dans la lecture. Le roman privilégie l’intériorité, la transformation personnelle et la tension psychologique plutôt que des péripéties fortes ou dramatiques. Le roman propose une vision de l’art comme issue et comme rédemption. C’est ainsi qu’il devient le lieu du dépassement. Il tente, par le génie de Zadig Hamroune, à reconquérir une dignité et une identité. Une qualité à souligner dans ce récit, et non des moindres, est le fait qu’un jeune homme d’un milieu populaire puisse s’approprier l’Art non pas comme décor mais comme une arme positive, et comme un tremplin futur. Ascendance sociale de nos jours et ouverture « aux mondes » ?!?

Dans un rythme à la fois lent et dense, fourmillant de milles références, la sincérité de l’auteur nous touche. L’auteur donne à ce témoignage fort une âme et un horizon où la quête et la douceur nous convoquent pour transcender nos jours, et ceux des jeunes qui en manquent aujourd’hui souvent bien cruellement… ; et nous ?!?

Image de Chroniqueur : Patrice Sabater

Chroniqueur : Patrice Sabater

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