Temps de lecture approximatif : 4 minutes

Nathalie Ohana, Réveiller ma mère, Frison-Roche Belles-lettres, 09/12/2022, 1 vol. (192 p.), 18€

Un titre qui résonne comme une injonction. Et sur une couverture aux couleurs du deuil, le noir du fond, la blancheur d’une chemise sur le corps d’une jeune femme agenouillée, un oranger dispensant à la fois – comme une offrande – ses fleurs délicates et ses fruits trop mûrs…
Avoir le livre en mains laisse déjà deviner la mission que s’est donnée Nathalie Ohana pour parler de sa mère. Cette brillante jeune écrivaine vit aujourd’hui en Israël. Ancienne élève de l’École Supérieure de Commerce de Paris et mère de famille, elle y a créé le programme de développement personnel Haim Rabim ou Vivre plusieurs vies.
Elle le revendique : « Le fil rouge de mon parcours, ce sont les histoires. Jouer la comédie, raconter la vie, lire celle des autres, écrire ce qui me traverse, suivre les parcours de vie. »

Dans Réveiller ma mère, son premier livre aux résonances autobiographiques, c’est sur sa propre vie qu’elle se penche. Elle y songeait depuis plusieurs années. Et tout à coup, il s’est imposé à elle comme une urgence. Mais il lui a fallu des encouragements amicaux, puis ceux de l’écrivain Christian Bobin, pour qu’elle se décide à le soumettre à des éditeurs.
Le point de départ est l’accident cérébral subi par sa mère et le profond coma qui s’en suivit. Présente à son chevet, l’autrice va accompagner ces quelques jours d’agonie au terme desquels des décisions devront être prises.
Ce pourrait être un texte douloureux sur le deuil et les regrets, comme peut l’être Le livre de ma mère d’Albert Cohen. Il n’en est rien Car c’est bien d’une résurrection dont il s’agit, tant il y a d’amour tremblé dans le regard que pose sur leur commun passé, celle qui reste sur celle qui va partir. Comme elle est présente, et vivante, soudain, la mère de Nathalie Ohana, cette femme potelée, dans le bruit pressé de ses pas, le cliquetis des bracelets d’or, dans le froissement d’une étoffe trop colorée par sa main aux ongles rongés, dans les senteurs épicées de sa cuisine ou dans l’écho de sa voix trop forte ! Si Annie Ernaux a raconté la fin de vie de sa mère dans une narration à la première personne, Nathalie Ohana adopte, quant à elle, le pronom « tu ». Et l’emploi de ce pronom de la deuxième personne va donner vie à deux portraits de femmes parallèles, dans le long monologue de la fille au chevet de la mère mourante et muette.
Dès sa naissance, Nathalie Ohana a été pour cette mère juive relativement âgée et bousculée par la vie, un don précieux et vulnérable. C’est un amour absolu qui va être accordé à cette gamine précoce à qui on ne dit jamais non. Avec l’univers des livres que découvre l’enfant solitaire, s’élargit l’horizon d’un quotidien étriqué où le visage du père lui-même, pourtant attentif et aimant, paraît gommé par l’omniprésence maternelle. C’est elle qui choisit les lectures, soigneusement épurées de tout ce qui pourrait donner une image négative de la vie, elle qui attend, accueille, décide, accompagne, dévouée dans la plus totale abnégation coursière, à la poursuite des livres indispensables aux études entreprises.
Dans l’enfance, les liens sont si forts que la fillette cherche à son tour à entraîner la mère dans le monde qu’elle découvre. Plus tard ce seront des tentatives pour l’introduire dans son tout nouvel et flatteur environnement social. Essais couronnés d’insuccès. Peu à peu se met en place une absence d’échanges dans lequel la surdité grandissante de la mère répond à l’indifférence distraite de la fille.
Et c’est dans une forme de mensonge que se construit la personnalité de celle-ci. Consciente des insomnies, des tourments qu’elle peut provoquer, fausse conformiste, elle tentera de les éviter, maquillant ses entreprises les plus risquées pour les rendre acceptables aux inquiétudes maternelles difficilement dissimulées : « Car derrière ta parole volubile et ta force de façade, je voyais un édifice fragile comme du cristal. »
Mais c’est dans l’éloignement que cette enfant tant aimée, adolescente provocante, jeune femme résolue, construira sa vie. En choisissant de s’établir en Israël, elle impose une nécessaire distance pour avancer librement sans rompre des liens qui resteront forts.

Ce premier opus de Nathalie Ohana, en nous révélant beaucoup d’elle-même, revisite avec tendresse et émotion, humour parfois, mélancolie souvent, l’histoire unique et universelle du lien entre une mère et son enfant. Ses mots de rappel à la vie sont comme l’étreinte qui se prolonge sur la main d’un mourant. Ils sont le rappel de tout ce qui a été donné sans attente de retour : « Tu sais, moi, je ne te demande rien. Je ne te demande qu’une seule chose, une seule. Je te demande seulement de faire attention…à tout. »
Ils sont libérateurs des sentiments jamais exprimés, parce qu’on s’est peut-être entendus, mais on n’a pas su s’écouter. Et aussi l’affirmation d’un héritage qui a pu être contesté, mais qu’on accepte de reconnaître un jour. Cette langue de l’affect qui lui a été transmise, Nathalie Ohana la parle à son tour.

On ne sort pas indemne de la lecture de son livre. Elle réussit à donner une histoire à cette femme qui ne parlait pas de la sienne. Elle le fait avec des mots justes et une intensité qui nous touche et nous interpelle. La certitude de l’amour maternel – quoique en dise Romain Gary en affirmant qu’avec lui la vie nous fait, à l’aube, une promesse qu’il ne tient jamais – permet un cheminement. Cet attachement absolu et désintéressé peut, certes, paraître, parfois, maladroit, excessif, voire étouffant. Mais son absence ne fragiliserait-elle pas bien davantage l’édification de notre propre histoire ?

Image de Chroniqueuse : Christiane Sistac

Chroniqueuse : Christiane Sistac

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