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Sous la direction de Stéphanie Cantarutti et Cécilie Champy, Sarah Bernhardt : et la femme créa la star, Paris-Musées, 19/04/2023, 1 vol. (255 p.), 39€ – Exposition au Petit Palais jusqu’au 27 août 2023.

C’est avec un hommage vibrant, éclatant de vie et de passion, que le Petit Palais célèbre le centenaire de la disparition de l’incomparable Sarah Bernhardt, tragédienne d’exception dont l’aura transperçait le velours des théâtres pour toucher les âmes de ses contemporains. Cette figure incontournable du monde artistique français, dépeinte comme “la Divine” par Oscar Wilde, “la voix d’or” par Victor Hugo, une “étrange créature qui enchante et ensorcelle” selon Freud, et un “monstre sacré” selon Jean Cocteau, continue d’illuminer les esprits grâce à l’exposition qui lui est consacrée. Au fil de plus de 400 œuvres, le public peut ainsi explorer les multiples facettes de cette femme d’exception : actrice au talent incomparable, femme d’affaires avisée, pionnière du marketing, fervente activiste et artiste à multiples facettes. Au-delà de son immense carrière théâtrale, l’exposition met également en lumière sa production artistique en tant que peintre et sculptrice, ainsi que son engagement social, témoignage de son audace et de sa volonté indomptable. C’est un voyage au cœur de l’univers fascinant de Sarah Bernhardt qui est proposé aux visiteurs de cette exposition exceptionnelle dont on ressort avec une immense émotion. Chaque œuvre, chaque document, chaque objet d’art raconte un pan de la vie de cette femme extraordinaire, démontrant qu’elle fut le phare de la culture française et – qu’aujourd’hui encore – elle demeure la plus grande artiste française, tant par ses excentricités, que par son talent jamais égalés.

Les racines d’une tragédienne

Sarah Bernhardt naît dans les tréfonds du demi-monde parisien en 1844, fruit d’une mère qui la place dans un couvent et d’un père dont l’identité demeure obscure. Dans l’ombre de cette origine humble et douloureuse, l’enfant – se détournant du mysticisme – prend son envol, guidée par une détermination sans faille. “Quand même” est la devise de son existence, grâce à laquelle elle parviendra à déjouer les affres du destin.
Face à l’indifférence maternelle, Sarah trouve refuge dans l’imaginaire, fomentant les prémices de sa future vocation. À seulement 13 ans, elle intègre le conservatoire de musique, faisant ses premiers pas sur les planches. Malgré son jeune âge, sa présence scénique et sa voix captivante ne manquent pas d’impressionner. Le talent de cette jeune tragédienne est vite reconnu par les institutions théâtrales françaises, et en 1862, Sarah fait ses débuts à la Comédie Française. Mais les règles rigides de cette institution illustre entrent rapidement en conflit avec l’esprit rebelle de la jeune femme, qui décide de prendre son envol afin de briller de ses propres ailes. Cette décision marque le commencement d’une carrière théâtrale exceptionnelle et d’une vie remplie de défis surmontés avec courage et détermination.

L’actrice française qui a conquis le monde

Inoubliable, Sarah Bernhardt conquiert rapidement la scène parisienne et devient une véritable étoile montante du théâtre. Elle incarne avec une passion dévorante les plus grands rôles du répertoire dramatique, des tragédies classiques aux pièces modernes, embrassant des personnages aussi divers que Phèdre, Médée, Lady Macbeth, Jeanne d’Arc, et la Dame aux Camélias. Elle n’hésite pas à défier les normes de l’époque, jouant même des rôles masculins tels que l’Aiglon et Lorenzaccio. Sa performance dans la pièce “Le Passant”, où elle se travestit en homme, demeure l’une de ses interprétations les plus audacieuses. Les costumes somptueux qu’elle portait pour incarner Cléopâtre illustrent à merveille la richesse de son répertoire.
L’aura de Sarah Bernhardt ne se limite pas à la France. Elle embrasse très tôt l’idée de tournées internationales, popularisant la culture et le luxe français à travers le monde. A bord d’un train Pullman spécialement aménagé, elle sillonne l’Amérique et les cinq continents. Son nom, désormais inséparable de l’excellence théâtrale, est aussi connu que celui de la Tour Eiffel. Elle est récompensée pour son influence culturelle par la Légion d’honneur en 1914, une distinction rare pour une femme à l’époque.
La renommée de Bernhardt dépasse même les frontières du théâtre. Elle devient une icône de la publicité naissante, prêtant son image à divers produits, de la poudre de riz et de l’absinthe, jusqu’aux biscuits LU. Sa notoriété et sa réputation la conduisent à la direction du théâtre des Nations en 1899, qu’elle rebaptise naturellement “Théâtre Sarah Bernhardt”. Pendant quinze ans, elle y joue près d’une quarantaine de rôles et présente vingt-cinq nouvelles pièces.
Ses excentricités étaient aussi célèbres que son talent sur scène. Elle cultivait une image singulière et osait braver les conventions de son époque. Son goût pour l’étrange et le morbide ajoutait une touche particulière à sa personnalité hors du commun. Parmi les plus notoires, on peut citer son intérêt pour les animaux exotiques. Elle possédait notamment un alligator domestique nommé Ali-Gaga, qui a tragiquement péri d’une overdose de lait et de champagne. Cette passion pour les animaux inhabituels contribuait à entretenir sa réputation d’artiste fantasque et excentrique, au point qu’elle avait consulté un médecin afin de savoir s’il était possible de greffer une queue de tigre sur ses reins !
Sarah Bernhardt était également fascinée par la mort et entretenait un certain goût pour le morbide. Elle dormait dans un cercueil pour s’entraîner à mourir et elle n’hésitait pas à se faire photographier à l’intérieur de celui-ci. Cette fascination pour la mort se reflétait également dans ses choix de rôles sur scène, notamment lorsqu’elle interprétait des personnages tragiques comme Ophélie dans Hamlet.

L'autre facette de la Divine : Sarah Bernhardt, peintre et sculptrice

Au-delà de sa virtuosité scénique, Sarah Bernhardt possède des talents artistiques qui s’étendent aux domaines de la peinture et de la sculpture. Ces facettes méconnues de sa personnalité sont particulièrement en lumière dans l’exposition du Petit Palais. Cette “Divine” n’est pas seulement une comédienne hors pair, elle est également une artiste complète, se délectant autant de la brosse que du ciseau. Le parcours de l’exposition révèle des œuvres d’art créées par la main de Sarah, témoignant de sa dextérité et de sa sensibilité artistique. Dans sa maison à Belle-Île-en-Mer, elle trouve une source d’inspiration inépuisable dans la nature, créant des peintures et des sculptures inspirées par les algues marines. À Paris, elle sculpte de touchants bustes de ses proches, confirmant sa capacité à capter l’essence humaine. Au Salon de 1876, Rodin, jaloux, déclare : “saloperie que cette sculpture !” Ulcéré par les critiques qui l’éreintent, Zola réplique : “Qu’on fasse une loi tout de suite pour empêcher le cumul des talents”.
Méconnue pour ses talents artistiques, Sarah a pourtant exposé certaines de ses œuvres lors de l’Exposition universelle de 1900, recevant des éloges pour sa maîtrise et sa créativité. En tant que peintre et sculptrice, elle déploie la même passion et le même engagement qui la caractérisent en tant qu’actrice, démontrant une fois de plus son talent inné pour l’art sous toutes ses formes.
En redécouvrant Sarah Bernhardt à travers son œuvre plastique – et c’est certainement la plus grande surprise que nous réserve cette exposition – nous sommes surpris par la polyvalence de cette artiste d’exception. Elle confirme que sa grandeur ne se limitait pas à sa présence sur scène, mais s’étendait à un éventail impressionnant d’expressions artistiques.

Sarah l’immortelle

Sarah Bernhardt, femme passionnée et charismatique, a été entourée de nombreux grands personnages de son époque. Elle a cultivé des relations amoureuses avec des hommes et des femmes qui ont marqué leur temps. Parmi eux, on compte le célèbre écrivain Victor Hugo, qui la surnomma la “voix d’or”, ainsi que le prince de Galles, futur roi Edouard VII, avec qui elle a partagé une liaison tumultueuse.
Au-delà de sa vie amoureuse mouvementée, elle était une artiste engagée et une femme d’action. Elle a pris position sur des questions sociales et politiques brûlantes de son époque. Elle a soutenu ouvertement l’anarchiste Louise Michel après la Commune de Paris et s’est opposée farouchement à la peine de mort. Lors de l’affaire Dreyfus en 1894, elle a apporté son soutien à Émile Zola et a manifesté son indignation face à l’injustice.
Malgré des problèmes de santé, Sarah Bernhardt a continué à se produire sur scène avec une énergie et une détermination inébranlables. En 1915, elle est amputée de la jambe droite en raison d’une tuberculose osseuse, mais cela ne l’a pas empêchée de se rendre sur le front pour soutenir les soldats français pendant la Première Guerre mondiale. Rien ne l’arrête, elle continuera à se produire sur les planches, “quand même”.
Les dernières années de sa vie ont été marquées par une reconnaissance mondiale de son talent et de sa contribution à l’art et à la culture. Ses funérailles, qui ont eu lieu en 1923, ont été grandioses, témoignant de l’ampleur de sa renommée. Une foule immense a envahi les rues de Paris pour lui rendre un dernier hommage, tandis que le cortège funèbre avançait lentement, recouvert de fleurs, en direction du cimetière du Père Lachaise, où elle repose.
Ainsi, la vie de Sarah Bernhardt est celle d’une femme exceptionnelle qui a marqué son époque à la fois par son talent artistique, ses engagements passionnés et son indomptable détermination. Son héritage artistique et son influence perdurent encore aujourd’hui, et l’exposition au Petit Palais offre une occasion unique de plonger dans l’univers fascinant de cette icône du théâtre et de la culture. 

Ne manquez surtout pas cette opportunité de vous immerger dans l’univers unique de cette “Divine” et d’explorer les facettes multiples de son talent. Que ce soit en visitant l’exposition ou en acquérant le catalogue, laissez-vous emporter par la grandeur et l’audace de Sarah Bernhardt, une artiste d’exception, qui continue de briller dans le panthéon des grands noms de l’histoire de l’art.

Cet article, également en version anglaise, est paru sur le site d’ICI BEYROUTH

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Chroniqueur : Jean-Jacques Bedu

Auteur de nombreux essai courronés par plusieurs prix littéraires, Jean-Jacques Bedu est le fondateur de "Mare Nostrum - Une Méditerranée autrement" et Président du Prix Mare Nostrum.

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