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Du nom Heredia, je ne connaissais que José-Maria, l’auteur parnassien des “Trophées”. Aussi étais-je surpris de cette nouvelle publication des éditions Passés Composés, “Severiano de Heredia – Élu de la République”, qui décidément, titre après titre, nous surprennent sans jamais nous décevoir. Né en 1836, Severiano de Heredia, comme son homonyme poète (lui-même se risquait d’ailleurs à la poésie), est originaire de Cuba. Quelle vie que la sienne ! Et quel parcours ! Mulâtre, comme on disait à l’époque, chassé de La Havane à huit ans par une révolte, il fait de brillantes études à Paris, au lycée Louis le Grand. Hédoniste, dandy jouisseur et insouciant, il profite de tous les attraits de la vie parisienne et des femmes. La vie mondaine lui ouvre les portes du journalisme et de la critique littéraire. Serait-ce assez pour être cité dans le discours d’investiture de Barack Obama ?
Entré au Grand Orient de France en 1866 dans la loge “L’Étoile polaire“, les idées politiques et sociales travaillaient lentement cet homme, enfin naturalisé en 1870. Trois ans plus tard, il est élu au conseil municipal de Paris, dans le quartier des Ternes (17e arrondissement – une rue, aujourd’hui, lui rend hommage). Républicain, proche du socialisme radical, il devient député en 1881 et ministre des Travaux publics en 1887. Il milite pour le droit de vote des femmes, défend la laïcité à l’école, les organisations syndicales et limite le temps de travail des enfants. Entrepreneur, il promeut encore les fiacres à moteurs… électriques ! Que n’a-t-il pas entendu dans son parcours : “Nègre de la République”, “député Chocolat”…
À l’heure où la demande de représentativité et de diversité se fait de plus en plus pressante dans nos sociétés toujours plus mondialisées, comment ne connaissons-nous pas davantage Severiano de Heredia ? On pense, plus proche de nous, à Gaston Monnerville, lui aussi franc-maçon, député, sénateur, sous-secrétaire d’État aux Colonies, président du conseil et président du Sénat. Et pourtant lui aussi, qui s’en souvient ?
Severiano de Heredia semble avoir vécu mille vies en une seule. Antoine Ozanam est néanmoins parvenu en 56 pages d’une bande dessinée à concentrer les épisodes essentiels qui composent sa vie. Véritable tour de force, car jamais le lecteur ne se sent perdu. Tout s’enchaîne, les ellipses temporelles ne laissent pas de manques ; les allusions discrètes dans les dialogues permettent de comprendre ce que la BD ne pouvait pas montrer. Surtout, ce bel album illustre les débats intérieurs d’un homme, mais aussi les débats dans l’air du temps : la Commune de Paris, la légitimité de la violence, le boulangisme, les questions sociales qui sous-tendent la vie politique de cette jeune IIIe République au sein de laquelle Severiano s’engage.
Tout le Paris de la deuxième moitié du XIXe siècle surgit sous nos yeux, grâce à la palette élégante, aux couleurs chaudes, souvent ocres, d’Isabelle Dethan. C’est le palais des Tuileries en ruines et la mairie de Paris en flammes ; ce sont ces cafés enfumés sous l’Empire, ces rues éclairées au gaz parcourues par les fiacres ; c’est l’agitation parisienne, toujours indomptable, toujours en ébullition ; ce sont ces pastiches déférents à des peintres et des mouvements picturaux du siècle (on reconnaît les “Coquelicots” de Monet – le tableau est aujourd’hui visible au Musée d’Orsay).
Ce très bel album nous donne indubitablement envie de replonger dans l’histoire de ce siècle de révolutions (politiques, sociales, scientifiques et techniques). Il ouvre, pour notre plus grand plaisir et notre curiosité, les pages d’une biographie que nous aimerions mieux connaître et approfondir. Car c’est l’histoire de France qui se déploie, une histoire contrastée, diverse et riche qui, comme la grenade renferme de nombreux grains et présente une apparence unie. Seule la connaissance profonde de notre histoire peut permettre à la France de se réconcilier avec l’Histoire.

Marc DECOUDUN
articles@marenostrum.pm

Dethan, Isabelle & Ozanam, Antoine, couleurs Isabelle Dethan, Bastien Bazar, Pepitom & Aloïs Vanderf, “Severiano de Heredia : élu de la République”, Passés Composés, Biopic, 01/09/2021, 1 vol. (55 p.), 14,90€

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