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Simón, héros du roman éponyme de Miqui Otero, est barcelonais de naissance, grandi et façonné entre Raval et Ramblas par une enfance passée entre les tables, les tabourets et les clients hauts en couleurs du bar familial. Ce dernier, sis dans un quartier modeste de Barcelone, est tenu par les parents, oncles et tantes de Simon, tous galiciens d’origine, exilés économiques taiseux, proposant dans leur bar-restaurant à côté des tapas mêlant cultures catalanes et galiciennes, le spectacle d’un lieu où l’on trinque, débat, s’engueule, se fâche puis se réconcilie, toujours autour d’un bon verre. Simón s’imprègne de cette ambiance-là, y acquiert le goût pour la cuisine et les personnages attachants parce qu’un peu à la marge. Parmi ces derniers, Rico, le cousin de Simón se détache comme la figure tutélaire qui, toute sa vie durant, va marquer notre héros au fer rouge : parce qu’il est le familier à peine plus âgé, mais déjà au fait de la vraie vie, parce qu’il prend Simón sous son aile pour lui enseigner ce que l’on n’apprend ni à l’école ni dans les jupes maternelles, parce qu’il disparaît brutalement une nuit de Saint Jean de l’encore enfance de Simón, il sera son guide, son mentor puis le fantôme d’une vie. Simón passera une vie à l’attendre, à le regretter, mais il partagera cette attente avec une multitude de personnages de romans, ceux que Rico lui a fait découvrir en soulignant des passages de livres ensuite dissimulés dans l’appartement ou dans le bar familial. Scaramouche ou les Trois Mousquetaires seront, pour lui, plus que des amis de papier, des mentors dont la destinée inspire, dont on envie le courage ou l’habileté mais aussi des mythes auxquels l’on voudrait tant ressembler. Simón raconte avant tout cela, l’élan vital que donnent les héros romanesques pour s’élancer vers la vie, mais aussi le poids que la fiction peut faire peser sur les existences réelles, et la force qu’il faut pour s’en détacher.

Miqui Otero est journaliste, professeur d’Université et auteur de romans révélé en 2010 par la publication du très remarqué Hilo Musical. Il est né à Barcelone en 1980. C’est un véritable enfant de la capitale catalane, un amoureux de celle-ci et un observateur avisé de l’évolution de sa ville à l’échelle d’une vie d’homme. Comme Manuel Vázquez Montalbán ou Carlos Ruiz Zafón avant lui, il fait de sa ville natale un personnage à part entière qui vit, vibre, grandit, convulse, implose parfois au rythme des évènements heureux ou tragiques qui la traversent. Il dit la Barcelone d’avant 1992, populaire et chaotique, celle que les Jeux Olympiques transforment et gentrifient, celle que l’indépendantisme catalan colore d’or et parfois de sang, celle réellement ensanglantée aux yeux du monde par les attentats de 2017. Miqui Otero étant également un habitué du milieu underground barcelonais, il raconte l’autre Barcelone, faite de lieux interlopes et plus ou moins clandestins, la ville nocturne et secrète qui, malgré son originalité est, elle aussi, menacée par l’uniformisation mondialisée. Il ne pose jamais de jugement sur cette évolution, n’exprime aucun regret ou aucune colère, mais le roman tout entier est nimbé d’une douce nostalgie semblable à celle que les hommes d’âges mûrs ressentent quand ils se retournent, l’air de rien, sur leur enfance ou leur adolescence. Les vies de Simon et de la ville qui l’a vu naître suivent ainsi des trajectoires qui s’entremêlent, se séparent un temps pour mieux se retrouver, et finissent par se ressembler lorsqu’elles se désenchantent ou trouvent des motifs d’encore espérer.

Simón est un roman plein de grâce, subtil et mélancolique, que l’on quitte à regret, mais en éprouvant le désir tenace de relire les livres d’aventure qui nous enchantaient, enfants, tout en arpentant, qui sait, les Ramblas de Barcelone.

Otero, Miqui, Simón, Traduit par Claude Bleton, Actes Sud, Lettres hispaniques, 02/02/2022, 1 vol. (411 p.), 23 €

Alain Llense

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