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Simonetta Greggio, Mes nuits sans Bardot, Albin Michel, 27/03/2024, 320 p., 20,90 €.

Mes nuits sans Bardot est un titre prenant, digne d’inspirer une énigme du gardien du Pont de la Mort de Sacré Graal (1975) des Monty Python. L’autrice, fan de BB, pense à son idole du matin au soir mais ne la voit jamais. Ses nuits sont sans elle, mais avec elle, et elle se fait donc un (ciné-)roman, recueil de courts textes de quelques pages tenus du 3 octobre au 28 septembre – jour de son anniversaire – dans lequel elle essaie de la rencontrer (peu importent les ans, tout étant imaginé). Mais ses messages restent sans réponse, la star l’ignorant superbement, et elle regrette de ne jamais recevoir le moindre « Vous m’emmerdez ! » qui aurait pu entamer une conversation. Mes nuits sans Bardot est un rêve épistolaire où brille une étoile inaccessible.

La Madrague, sur la plage ensoleillée…

Tout part d’une fausse nouvelle, l’annonce de sa mort sur les réseaux sociaux (fake crédible, l’actrice ayant 89 ans), comme cela arrive avec les célébrités (Jean-Luc Delarue, Pascal Sevran, Johnny Hallyday…). Mais, comme la rassure une biographe locale : « Pensez-vous, cela réveillerait la Terre entière en un claquement de doigts, une bombe pareille, qu’est-ce que vous croyez, ce serait comme un pan du pôle Nord qui s’écroule, ce serait la tour Eiffel décapitée ». Que deviendra le monde sans BB, sans ses prises de position médiatiques sur l’inaction des ministres et des présidents sur les causes des animaux (maintenant préférés aux hommes et femmes) ? L’autrice, voulant à la fois faire une pause sabbatique à son errance personnelle et être proche de son actrice fétiche, loue un studio de notable défraîchi – le studio ou le notable – dans son village : « Saint Tropez est une huître dont la perle s’appelle Brigitte Bardot ». En osmose complète avec BB, elle est venue avec sa chienne Pépette (elle est devenue végétarienne mais avoue son incapacité à ne pas la dévorer des yeux). Elle tente de la voir à La Madrague, son Xanadu tropézien (acheté cash en 1958, car à l’époque les femmes n’avaient pas de compte en banque), sonnant plusieurs fois à sa porte, tirant la chaînette, attendant la réponse d’un gardien ou l’aboiement d’un chien, mais rien. C’est le silence absolu. En écho à ses textes poétiques, l’autrice fabule sur BB livrant ses impressions et donne vie à un monologue imaginaire, à défaut de dialogue. Quelqu’un a sonné. Elle a regardé en douce mais n’a vu personne. Elle en a marre des curieux, de la fausse nouvelle de sa mort. Heureusement, elle reçoit des fleurs, des lettres et des corbeilles de fruits, mais, hélas aussi, des insultes, des menaces, des paniers de chatons nouveaux nés. Elle entend, venant du rivage, le haut-parleur de bateaux qui longent sa propriété jouxtant le littoral : « Mesdames, Messieurs, voici La Madrague, la célèbre villa de Brigitte Bardot. Cachée derrière ce mur qui la protège des regards indiscrets, notre très grande star bien-aimée, bla bla etc ». Le petit mur de sa propriété, au début ensoleillée, heureuse et festive, n’est que symbolique et non dissuasif, il ne protège pas des touristes irrespectueux et envahisseurs qui débarquent de terre et de mer, jour et nuit toutes les semaines, et viennent toquer voire hurler à la porte d’entrée.

De la danseuse à l’étoile du cinéma mondial et à la défenseuse des animaux

Chez elle, l’autrice regarde une succession de photogrammes de BB fillette. Elle est en tutu vert de poussin ou de petit rat d’opéra et ballerines rose, assise sur un banc, mains ouvertes entre les genoux écartés, paupières baissées, et contraste avec la dame en noir, parapluie et chapeau, l’accompagnant (elle 12 ans, est à l’école de danse de Mme Bourgat). « La môme est découragée, c’est évident (…) Est-elle simplement fatiguée par ses entrechats ? (…). Ce qui se dégage de cette enfant, dans la série d’images à peine bougées, est une mélancolie obstinée, le poids d’une destinée ». De son côté, franchissant les décennies, BB se laisse « hâler » à ses pensées et à ses films : Le mépris serait son meilleur film – le seul ajoutent les puristes – mais elle préfère La vérité. Pour Et Dieu… créa la femme, elle rit car elle dansait, animale, possédée et excitante, un cha cha cha endiablé. Ce film fait d’elle une star mondiale – il est le premier film français classé au box-office américain – crée le mythe Bardot, femme belle, libre et indépendante, et marque l’émancipation féminine (sociale et économique) et la libération sexuelle. Ce n’est pas par hasard si la bombe BB qui éclate en 1956 est le seuil ultime de La drôle de guerre des sexes du cinéma français 1930-1956 de Noël Burch et Geneviève Sellier (Nathan Université, 1996). BB – aux initiales de Lolita et au surnom affectueux – fait fantasmer et érige l’ire des censeurs de tous poils se prétendant défenseurs de la morale : « Pendant des années, les scènes coupées et censurées du film (…) ont été l’objet de messes basses, de murmures entre initiés, il paraît que… il parait que quoi ? Les voilà ces images qui ont envoyés les pécheurs à la confesse, les curés en cure, et BB carrément en enfer ». Et BB revoit ses amis, ses amants, ses maris, ses adorateurs. Son carnet personnel est un Who’s Who d’artistes garni d’hommes : Roger Vadim, Marc Allégret, André Gide, Gilbert Bécaud, Marlon Brando, Jean Cocteau, Clouzot, Sami Frey, Jean-Louis Trintignant, Jean-Luc Godard, Jean-Paul Steiger, Gunther Sachs, Jean-Pierre Cassel, Louis Malle, Serge Gainsbourg…, mais aussi de femmes : Marguerite Yourcenar, Françoise Sagan, Colette, Jeanne Moreau, Anna Karina… Cependant, le mitan de sa vie, post cinéma, est plein d’embûches, d’attaques, d’insultes et de moqueries. Son amour des animaux explique ses prises de bec contre les tueurs des abattoirs qui égorgent vivants les animaux, contre les chasseurs « capables de tirer sur des enfants, car les animaux sont comparables à des enfants sans défense », contre les tueurs de bébés phoques au Canada (d’où ses appels au boycott de fourrures animales).

Un livre poétique et théâtral…

Mes nuits sans Bardot est un roman aux feuilles emplies de poésie. Si BB est le soleil de l’autrice, c’est l’actrice isolée et en déclin – âgée mais aussi avec de nombreux détracteurs – qui hante ses pensées déclinées sous différents auspices alternatifs : d’où les Lunes (noire, d’automne, des nuits longues, des lumières blanches sur la mer…), La Madrague, omniprésente jour et nuit, dont sont prisonnières BB et son admiratrice la recherchant. Rappelons que la madrague est un dispositif de pêche constitué de filets et de pieux pour emprisonner des thons dans un enclos avec un grand filet en formant le fond qui est relevé, la Memory Box (boîtes à photos, images fixes, fréquemment ouvertes et qui remémorent et mettent en scène des tranches de vie et de films : BB jeune, chemise blanche d’homme, froissée ; justaucorps noir, chaussettes blanches ; photos de mariage Bardot/Charrier…), les films emblématiques (La vérité, Le mépris…), les dates intemporelles (sans la moindre année précisée : 24 décembre, 13 janvier, 3 février…), les dates anniversaires (20 ans, 30 ans, 40 ans, 90 ans…)… Mes nuits sans Bardot est aussi une pièce de théâtre, intimiste et duelle, voire un scénario filmique riche en flash-back avec deux héroïnes qui ne s’affrontent pas – cf Le limier (1972) de Joseph Mankiewicz avec Laurence Olivier et Michael Caine – mais se parlent en tête à tête dans deux mondes parallèles sans jamais se rencontrer – ou se connaître – et se livrent chacune à des soliloques complémentaires. Cela n’est pas étonnant, Simonetta Greggio a été journaliste, critique littéraire et gastronomique, puis romancière (La douceur des hommes qui devrait être adapté au cinéma) et scénariste. Elle a collaboré au scénario de Titane de Julia Ducournau (Palme d’or au festival de Cannes 2021) et de Grosso guaio all’Esquilino – La leggenda del kung fu (2023) de Younuts, elle avait déjà évoqué BB dans une série documentaire sur France Culture en 2020.

Mes nuits sans Bardot a obtenu le Prix du livre de plage 2024, assurément celui de la plage des Canoubiers qui n’est plus aujourd’hui une « plage abandonnée » où « Coquillages et crustacés / Qui l’eût cru ! Déplorent la perte de l’été / Qui depuis s’en est allé ». Un livre en hommage mémoriel sur notre monumentale BB, monstre(sse) sacré(e) qui aima « les chiens et les hommes de manière déraisonnable, c’est vrai, mais les seconds l’ont mérité bien moins que les premiers, n’en déplaise aux vieilles pies« . Et comment ne pas penser derechef à Et Dieu… créa la femme et à de nouveaux et divins chat chat chat ?

Image de Chroniqueur : Albert Montagne

Chroniqueur : Albert Montagne

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