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Lequel d’entre nous, familier, — ou pas — des compétitions et de la performance, ne s’est-il questionné sur le concept du sport dont les excès en tout genre ne cessent de défrayer la chronique ?
Sans verser dans une critique simpliste, pour ne pas dire subjective, encore faut-il sereinement en analyser les causes et c’est tout le mérite que l’ouvrage de Robert Redeker contribue à nous faciliter.
Car par-delà son titre suggestif Sport, je t’aime moi non plus, l’auteur fait davantage qu’évoquer les mille et un travers de la geste sportive, il en dissèque intelligemment les méfaits. Sans pour autant occulter son volet dérisoire, aujourd’hui hélas quasiment obsolète, qui en recèle les authentiques vertus.
Amateur de vélo et de rugby, Robert Redeker sait de quoi il parle lorsqu’il en célèbre la beauté primale comme :

Une sorte de joie issue du corps, du mouvement des membres qui n’est motivée que par le seul bonheur d’être, le désir le plus pur, c’est-à-dire d’échapper à la prison qu’est l’ego…

Une action toute de gratuité, ne visant rien d’extérieur à elle-même qui est aussi celle des « gens du peu » comme il les qualifie. Il faut, en effet, avoir touché de son âme et de sa peau, la passion pour le ballon ovale de ces gens du peu vivant dans les petites villes rurales de Gascogne ou du Languedoc pour en saisir leur attachement.

Loin d’être leur divertissement qui les éloignerait de la vie, qui les en distrairait, le sport leur est au contraire la passion qui les tient campés sur le seuil de l’univers qui leur procure un sentiment de vie immense.

Commente-t-il.
Une beauté du dérisoire, dont le philosophe-sportif nous décrit poétiquement les contours dans l’ascèse méditative que suscita chez lui la solitude de l’effort cycliste.

Un matin de novembre gelé, le givre ayant glacé la campagne, les fleurs de chrysanthème et le ruban noir du bitume, la Critique de la raison pure d’Emmanuel Kant inspira mon haleine dont la fumée s’élevait dans l’air pur.

Sauvageon du sport et de la philosophie tel qu’il se définit, cet amoureux de l’effort désintéressé n’en est que mieux placé pour en relever les dérives. Et combien sont-elles nombreuses !
Joute guerrière absente de critique tant il est impensable d’en discuter la légitimité, la question du sport est ainsi devenue dominante dans nos sociétés.
Plus que le qui va gagner ? Il est important pour ce système de faire passer le message social darwinien, véhiculé désormais dans les diverses entreprises. « Que toute la vie soit compétition, que l’existence sociale soit compétition et qu’elle soit axée sur la performance », explicite l’auteur.

Après plusieurs chapitres relatifs au phénomène de la violence et à l’occidentalisation du sport, sont ensuite abordés d’autres aspects tout aussi préjudiciables tels que dangers de l’individualisme de masse et de l’idéologie sportive.
Un phénomène dénonçant le rôle joué par les états totalitaires y compris parmi les promoteurs de l’olympisme à commencer par son fondateur Pierre de Coubertin, – fervent admirateur du nazisme — que Robert Redeker ne manque pas d’épingler. Il écrit :

L’angélisme béatifiant avec lequel les médias et le personnel politique évoquent généralement Coubertin, comme s’il avait été une sorte de saint homme, est une des plus surprenantes impostures durables de la presse contemporaine.

Bref, un livre aussi dense que courageux, aussi impartial qu’exhaustif, qui dénonce les abus d’un sport-spectacle pleinement antinomique avec les valeurs naturelles synonymes de gratuité et de plaisir de soi. « Un sport opium d’un être humain aujourd’hui prisonnier de l’instant, devenu inapte à voir au-delà de son cachot… »

Redeker, Robert, Sport, je t’aime moi non plus, R. Laffont, 02/06/2022, 1 vol. (111 p.), 10€

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Michel Bolassell

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