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Guillaume Poix, Star, Verticales, 09/03/2023, 1 vol. (312 p.), 20,50€.

En 2020, le Grütli – centre de production et de diffusion des arts vivants, a passé commande d’une pièce de théâtre au dramaturge français Guillaume Poix. Celle-ci sera présentée en novembre 2021.
Miss None sera interprétée par cinq actrices, cinq versions d’une même femme à la troublante ressemblance avec Nicole Garcia. Elle incarnera donc Mademoiselle Rien. À travers cette Mademoiselle Rien, Guillaume Poix évoque la vie aussi intrigante que mystérieuse d’un figurant du cinéma américain, totalement inconnu du grand public, un certain Ariel Winthrop.
Malgré ses jeunes années, Guillaume Poix, écrivain, affiche déjà une œuvre riche par ses thématiques et son inventivité. Ses pièces, saluées par la critique, sont parues aux Éditions théâtrales ; il a également publié trois romans très différents aux Éditions Verticales.

L’intrigue fascinante de Miss None

Star, son tout dernier ouvrage paru en librairie en mars 2023, bouscule toutes les certitudes. Il revient sur la vie de ce figurant anonyme qu’a été Ariel Winthrop et plonge le lecteur dans une absolue perplexité.
En effet, s’agit-il d’une autobiographie ? Découvrons-nous les premiers pas dans la carrière d’un jeune et ambitieux Guillaume Poix, rêvant d’être acteur et réduit au modeste rôle de figurant ? Son amitié pour Nicole Garcia, sa collaboration avec Claire Simon pour Les bureaux de Dieu et Gare du Nord, sont des éléments vérifiables. Ses allers-retours à Lyon, ville dont il est originaire, le récit drolatique de ses mésaventures et de ses petits boulots, restituent avec une grande vraisemblance les débuts d’un apprenti comédien, candidat à la célébrité et à un travail alimentaire…
Mais le voilà qui s’entiche d’un personnage aux débuts tout aussi modestes, dont le palmarès impressionnant le fascine. Sommes-nous au cœur d’une pure fiction et Ariel Winthrop, comme Guillaume Poix, seraient-ils les protagonistes d’une action particulièrement bien ficelée ?

Le mystère d'Ariel Winthrop : réalité ou fiction ?

A-t-il existé ce personnage fantomatique, prototype incarné du figurant de cinéma, au physique avantageux et aux « yeux bleus lac sombre » ; maintes fois sollicité, avant de disparaître volontairement, dans les limbes de l’oubli et de la plus totale indifférence ?
Pour vérifier la réalité de son existence, faut-il rechercher dans les cent dix-sept films où il a tourné – sans jamais figurer au générique – le geste furtif qui en atteste ?
On l’entrevoit donc recevoir une gifle de Gena Rowlands dans Gloria de John Cassavetes ? Boire au goulot dans Little Big Man d’Arthur Penn ? Choisir un vinyle dans Taxi Driver de Martin Scorsese ? Éteindre une cigarette dans Dirty Dancing d’Émile Ardolino et soutenir Jack Nicholson dans Vol au-dessus d’un nid de coucou de Milos Forman ?
Autant de gestes ou d’apparitions de quelques secondes qui, au total, après une vie passée à hanter les plateaux, font de sa carrière un bilan dérisoire. Et il aurait donc renoncé, un jour, à tout pour avoir été coupé lors du montage de Gladiator de Ridley Scott !
On cherche en vain la moindre trace du film qu’il aurait tourné en 1986 avec Nicole Garcia comme unique actrice, et aussi unique spectatrice d’une unique projection avant la destruction de la pellicule par le réalisateur…
Et on frôle le fantastique avec ce Miss None (encore elle ?) où il aurait repris chacun des gestes précédemment accomplis dans sa carrière et, par anticipation, ceux qu’il accomplirait jusqu’à la fin de celle-ci en 1999.

Redécouvrir le cinéma à travers les yeux d'Ariel

Le roman de Guillaume Poix se construit sur un rythme haletant, comme un véritable thriller. C’est un bonheur de lecture. Il constitue à lui seul un répertoire du cinéma américain des décennies cinquante à soixante-dix. Il suscite une furieuse envie de revoir tous les films cités, à la poursuite de cette ombre insaisissable d’Ariel, exhumée de l’anonymat par le récit, aux côtés des vedettes qu’il côtoie.
L’auteur, dans son autoportrait du figurant français lambda en quête de notoriété, se révèle hilarant. Il l’est aussi lorsqu’il interpelle le lecteur et enchaîne les : « Le nom ne vous dit rien et pourtant vous le connaissez », à propos des plus grands metteurs en scène. Ce qui ne manque pas de justesse, car le spectateur mémorise bien plus volontiers le nom des vedettes du générique !
Et puis, oh surprise, on accède à des passages chargés d’émotion, comme la vision de l’ex-starlette Edith Winthrop, agonisante, dans une chambre de clinique privée, le regard fixé sur la petite photo du bonheur perdu.
Et ce long retour sur l’affaire Fabienne Kabou, son abandon devant les vagues de la mer du Nord à marée montante, d’Adélaïde, sa fillette de quinze mois. Elle lui avait donné la vie sans lui donner une existence. De ce drame, Alice Diop a tourné Saint-Omer, sorti en 2022. Et on se souvient, tout à coup, que dans le film d’André Téchiné, sorti en 2007, bien antérieurement donc à l’affaire Kabou qui s’est déroulée le 19 novembre 2013, les personnages évoquaient ce schéma d’abandon maternel comme un possible scénario de film.

Guillaume Poix intrigue, surprend, amuse souvent ; émeut quand il nous livre la lassitude d’Ariel interviewé par Janet Maslin. Il interroge aussi en dévoilant l’envers du décor, l’arrière d’un miroir où viennent se fracasser les alouettes, celui d’un univers où tout est illusion, mais où la gloire ne masquera pas l’inquiétude de l’homme.

Image de Chroniqueuse : Christiane Sistac

Chroniqueuse : Christiane Sistac

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