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Jean de Marignan, En reconnaissance au Maroc : sur les pas de Charles de Foucauld explorateur, Le Cerf, 08/06/2023, 1 vol. 22€

D’une existence aussi atypique que celle de Charles de Foucauld, les écrivains ne pouvaient que faire leur miel. Démarches on ne peut plus légitimes au demeurant, tant par son enfance orpheline, son bref engagement militaire, sa passion pour la géographie et le voyage, puis sa quête irrépressible de Dieu et sa complicité avec l’environnement musulman, le futur ermite du Hoggar n’a cessé d’attiser la curiosité. Manquait cependant la première et vraie découverte du milieu maghrébin que l’explorateur accomplit à l’âge de vingt-huit ans dont Jean de Marignan en restitue d’autant plus l’intérêt qu’il l’a lui-même effectuée dans son intégralité.
De sorte qu’en mettant littéralement ses pas sur les traces du célèbre explorateur, l’auteur nous familiarise avec les facettes d’une âme complexe et tourmentée appelée à se chercher avant de devenir le saint que l’on connaît.
Pour conter cette quête initiatique à la mémoire de son héros dont il feuilleta longtemps les exploits dans une bande dessinée, Jean de Marignan ne fait pas dans l’à peu près.

Déguisé en rabbin

De Tanger à Oudja, transitant ainsi de la côte Atlantique jusqu’à la frontière algérienne, il va fidèlement cheminer sur les traces de l’itinéraire rédigé par son illustre prédécesseur. L’auteur écrit dans son avant-propos :

La reconnaissance était précisément le terme légué par le livre qui m’a servi de guide pendant six mois, comme un mot-clé pour tracer ma voie dans ce pays. Elle m’a fait voir comment les paroles bienveillantes, les occasions de joie, d’émerveillement, de fête avaient glissé jusqu’à présent sur moi comme l’eau sur les plumes d’un canard. Je vivais dans la peur d’être un objet de pitié, qu’un soupçon systématique imputait à chaque geste de bonté. Seule une charité rudement authentique pouvait rendre supportable la générosité à ce garçon-là.

Une admiration qui ne le fait cependant pas adhérer à tous ses agissements. A commencer par son attitude distante vis-à-vis de son guide rabbin, dont il revêtira la même tenue pour mieux passer inaperçu, car les cinq sixièmes du Maroc étaient, à l’époque, entièrement fermés aux chrétiens.
L’accompagnement d’un tel gardien ne devait en fait rien au hasard, apprend-on dès les premières lignes du récit. Pour protéger leur descendant, la famille Pontbriand de Foucauld avait, en effet, passé secrètement un contrat avec le – vrai – rabbin Mardochée Aby Serour, dont l’une des clauses que Charles ignora probablement toute sa vie, prévoyait une prime si le rabbin ramenait le jeune explorateur vivant.

Dans les pas de son héros

Si marcher seul est le plus sûr moyen d’explorer ses états d’âme, le début du périple tel que l’accomplit De Foucauld s’avéra tout aussi délicat un siècle plus tard :

Au seuil de sa maison, le regard d’une mère qui m’a tendu un morceau de pain ne comprenait pas ma présence. Elle continuait de me scruter en silence quand j’ai repris mon chemin. Le simple fait de recourir à la marche m’a placé d’emblée dans les marges de ce pays. Et cette façon de se déplacer, aussi simple et spontanée qu’elle soit, est devenue source d’intrigue.

Puis d’étape en étape, alors que Foucauld s’attache à relater les accidents topographiques de Taza de l’Ouad Amlil, l’auteur décrit avec talent l’altérité des paysages parcouru sur ses traces.

Mon chemin est semblable au leur, bon et facile. En revanche la vallée est toute défigurée. Les eaux boueuses du fleuve attirent l’attention sur le drame qui se joue ici. La terre saigne sous le travail de la pluie. Elle agonise dans les collines décharnées, les talwegs ravinés et les hideuses boursouflures au bas des champs cultivés. L’érosion, cette impitoyable machine à façonner les paysages, fait ici son office dévastateur.

De Boujad aux confins de l’Atlas où Foucauld et son guide vont être aux prises à maints conflits opposant les tribus arabes aux quelques résidents juifs qui s’apaiseront progressivement pour se transformer en d’authentiques amitiés, l’auteur éprouvera à son tour ce même glissement de relations.
En reconstituant le chemin de Foucauld dans l’environnement enneigé d’Aït Warda, le jeune Mohamed, féru d’histoire et francophone, va ainsi déborder de bonté auprès de l’auteur. Et d’Ibrahim à Hamza, jusqu’au petit garçon rencontré sur la route d’Enzel, ce dernier va multiplier des rencontres d’autochtones où la chaleur de l’accueil n’aura d’égal que la profondeur de l’échange.

Un roman captivant

Cette identique communion à l’autre qu’éprouva Charles de Foucauld durant son périple et le fit se rapprocher de la foi des musulmans en une nuit mystérieuse où le Coran descendit sur terre, comme des écailles qui lui tombaient des yeux. « Faites-moi toujours percer les voiles, ne jamais rester à ce pauvre composé de néant et d’être, si ruineux, si défaillant, si rien… » écrira-t-il dans une prière vingt ans plus tard.
D’un explorateur à l’autre, ce journal de voyage dans les régions insolites et jusqu’alors inexplorées offre ainsi plusieurs attraits.
Au gré des étapes, il témoigne de la fécondité d’une aventure que la pauvreté environnante comme la découverte de l’islam participent d’une prégnante richesse. Qu’importe dès lors, les chicaneries et autres compromissions que semblable périple ait pu engendrer ! Seule compte la démarche qui sauve d’un questionnement stérile, écrira plus tard Saint-Exupéry.
C’est ce que Jean de Marignan va clairement exprimer dans son épilogue :

Lorsqu’il juge amèrement cette frénésie des plaisirs où il s’est laissé séduire, Foucauld prouve le premier son goût pour la grande volte-face des vies des saints qui nous plaisent tant. Ce sont peut-être les mêmes vices, mais la Reconnaissance au Maroc témoigne que ce n’est plus le même homme qui s’y adonne. Les grands hommes n’existent pas, il n’y a que ceux qui grandissent loin des trajectoires en noir et blanc.

Un roman de la trace en quelque sorte, bien écrit et captivant de bout en bout, par lequel cet historien du monde arabe a le double mérite de plonger le lecteur dans un Maghreb méconnu et de mettre l’accent sur la période d’un grand mystique qui n’a cessé jusqu’à sa mort de s’en souvenir.

Image de Chroniqueur : Michel Bolassell

Chroniqueur : Michel Bolassell

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