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Les voyages ont marqué la vie de Mona Azzam. Elle est née en brousse, en Côte d’Ivoire. Ses jeunes années se sont déroulées entre Côte d’Ivoire et Sénégal. Après un doctorat en lettres modernes, elle a exercé pendant dix ans au lycée français de Beyrouth. Elle a poursuivi des études d’ingénieure de la formation, puis est retournée à sa passion : la littérature.

Depuis 18 ans, elle réside à Montpellier. Elle y a fondé “Érasme”, institut de formation pour adultes, avant de retourner à l’enseignement. Son œuvre entière est empreinte des influences de la poésie française et de sa passion pour Marguerite Duras, Albert Camus, ou Dante. Le choix même des titres de ses romans ou recueils de poésies en témoigne. Elle joue avec les mots et les métaphores : “Sur l’oreiller des sables”, ou “Le sablier des mots”.
Mais le titre de son dernier ouvrage, “Ulysse a dit”, paru en août 2020 aux Éditions La Trace, a la résonance d’une phrase enfantine.
Trois parties dans ce mince roman à la fois récit, poème narratif, et texte engagé. La première partie, et la dernière – plus brève –, sont à la troisième personne et aux temps du récit dans le passé. Le terme “quarts” s’est substitué à celui de chapitres. Il appartient au champ lexical du marin et témoigne de son état de vigilance comme de sa solitude. Ces “quarts” vont nous révéler le parcours de cet Ulysse, confronté à une Odyssée qui n’est pas la sienne.
Son choix de vie l’a conduit à renoncer à une carrière confortable et insatisfaisante dans “les univers troubles du monde financier”. Sans attaches sentimentales, il a saisi une opportunité pour se consacrer à sa passion : l’écriture. Un poste de gardien de phare à la pointe de Gibraltar lui permet de s’y consacrer pleinement. Il mène une vie solitaire, coupée tous les quinze jours par la visite du marin chargé de le ravitailler. Les bruits des flots se sont substitués à ceux de la ville, et peu de contraintes lui sont imposées. Mais sa première œuvre ne sera pas celle qu’il avait imaginée. Elle sera “Le dit de Maïmouna”.
Lors du naufrage du “Santa Lucia”, bateau de migrants brisé par la tempête, il récupère in extremis la seule rescapée, une gamine si menue, si maigre, qu’il peine à lui accorder ses treize ans d’âge.
Il lui faudra gagner sa confiance pour recueillir des lambeaux de sa triste histoire, avant même que cette petite vie fragile, malgré ses soins, ne s’éteigne.
Aède des temps modernes, ou blond griot français, Ulysse va devenir le vecteur de la parole de l’enfant.
Dans la seconde partie, c’est Maïmouna qui prend la parole, dans une longue narration à la première personne, soulignée par une disposition typographique qui en fait un poème en prose. Et les chapitres sont dès lors “Instants”, terme qui connote la brièveté précieuse du moment. La petite Sénoufo du village de Yalékéla au Mali a appris le français à l’école, elle a rêvé en écoutant le maître lire “Le petit Prince”. La savane autour des huttes de banco paraît protectrice. Mais la misère et la faim ne sont jamais loin. Les exactions commises par AQMI ou les razzias menées par les Touareg se succèdent. Pour la mère, sauver l’enfant survivant, c’est l’envoyer en France, se résigner à la confier à autrui lors d’un périple maritime à l’issue incertaine.
À travers ses mots, le dit de Maïmouna mourante, transcrit par Ulysse, devient alors la parole de tous ces humains que la faim et les guerres tribales jettent sur les voies de l’exil, les livrant à d’autres dangers tout aussi redoutables.
Le style volontairement fluide et simple fait de “Ulysse a dit”, un récit accessible à un très large public. Il devrait trouver sa place dans tous les établissements scolaires du second cycle, car il se prête magnifiquement à être l’objet de travaux transdisciplinaires autour des thèmes de l’Afrique subsaharienne, de l’exploitation des ressources du sol africain, du climat, des mouvements migratoires… Très réaliste et profondément émouvant, dans sa grande sobriété, le roman de Mona Azzam nous rappelle que pour ces enfants, grandis sous la protection de notre pays, le mot synonyme de “Espoir” reste encore le mot “France”.
Le cri d’Ulysse répercutant le chuchotement de Maïmouna, l’enfant, sauvée des eaux, pour être confiée à la terre, ne peut, ne doit, rester sans écho.

Christiane SISTAC
articles@marenostrum.pm

Azzam, Mona, “Ulysse a dit…”, Éditions La Trace, 25/08/2020, 1 vol. (124 p.), 20€

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