Un été inachevé… Comme l’écrit l’auteur : “l’été de la folie des hommes aveuglés par leur certitude…” Un été 1936, prélude au déferlement de haine que l’humanité allait connaître trois ans plus tard…
Pour celles et ceux qui, dans leur enfance, ont dû apprendre par cœur les tirades du “Cid”, il en est, dans l’Acte II de la scène II, qui demeurent inoubliables : “la valeur n’attend pas le nombre des années”, mais surtout : “Et pour leurs coups d’essai veulent des coups de maître”. Un premier roman est toujours un coup d’essai. Il est précieux, pour la destinée de chaque auteur. “Un été inachevé” de Marie-José Descaire fait précisément partie de ces “coups de maître” qui nous touchent au cœur. Au milieu des années 1930, des deux côtés des Pyrénées, nos aïeux ont fait un choix crucial pour leur existence et celle de leur famille. Ils ont dû, en pleine conscience, prendre la décision de collaborer avec la déferlante fasciste, nazie, collaborationniste, celle de résister, ou encore celle de ne rien faire.
C’est dans les premières semaines de la guerre d’Espagne qui suivent le coup d’État des 17 et 18 juillet 1936, que Marie-José Descaire nous invite à nous mettre dans la peau de son grand-père Juan. Un modeste propriétaire terrien, un homme sage, bon et travailleur, confronté au plus terrible des choix : celui de refuser ou de cautionner l’innommable et l’inexplicable. Celui – à son tour – de sombrer dans la violence de la terreur rouge menée par des groupes d’anarchistes et d’activistes, ou d’attendre que la situation s’apaise, afin de rassembler toutes les forces vives sous la bannière républicaine dans la lutte contre Franco. Cette terreur rouge, qui précède la terreur blanche franquiste, est moins connue, mais tout aussi dévastatrice. Des exécutions sommaires pour des prétextes futiles, des exterminations irrationnelles, des querelles familiales qui s’achèvent dans le sang, des règlements de comptes pour de simples dettes, des amants exécutés, des prêtres assassinés ou brûlés vifs dans leur église. Bien qu’elle soit apocryphe, on prête à Arnaud Amaury cette parole durant le sac de Béziers en 1209 : “Tuez-les tous, Dieu reconnaîtra les siens”. On connaît moins celle de Dolorès Ibarruti, la présidente du parti communiste d’Espagne : “Mieux vaut condamner cent innocents que d’absoudre un seul coupable”.
Servie par une plume sûre et prometteuse, une description très réaliste de la Catalogne en pleine terreur rouge, c’est à un dilemme que Marie-José Descaire invite le lecteur. Et nous, qu’aurions nous fait ? Juan a fait un choix courageux, le même que nous a suggéré la philosophe juive Hannah Arendt dans son ouvrage “Eichmann à Jérusalem”. Car là est la force d’“Un été inachevé” : celle de nous plonger dans l’esprit tourmenté de Juan. Un homme face à ses doutes, qui demeurent toujours les nôtres… Mais ce premier roman présente une autre qualité : celle de montrer combien les femmes sont les premières victimes de la barbarie des hommes : “Rosa pleurait maintenant à chaudes larmes, la tête enfouie dans son bras qu’elle avait laissé reposer sur la table. Elle pleurait sur son impuissance, sur ce monde fait par les hommes dont les femmes étaient sans cesse écartées, sur cette injustice qui voulait que la parole d’une femme valût moins que celle d’un homme”.
Marie-José Descaire porte un chagrin. Et son écriture est si sensible, qu’elle nous laisse même deviner les larmes qui ne coulent pas. “Un été inachevé” est un coup de maître. Gageons que ce ne sera pas le dernier…
Jean-Jacques BEDU
Contact@marenostrum.pm
Marie-José Descaire ; « Un Été inachevé » ; Éditions Cap Béar ; Perpignan, 06/2020 ; 16€.
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