Jean-Max Méjean, Marguerite, Diamant bleu !, Cap Béar Éditions, Mai 2025, 188 pages, 16 euros.
Jean-Max Méjean est un critique de cinéma bien connu des cinéphiles. Spécialiste du cinéma italien, il a écrit de nombreuses biographies (Federico Fellini, Giuletta Massina, Pedro Almodovar, Woody Allen, Emir Kusturica…) et études filmiques (L’Atalante, La grande vadrouille, La traversée de Paris…). On ne compte plus ses directions d’ouvrages (Roman Polanski, Maurice Pialat, Sergueï Paradjanov, Bruno Dumont, Xavier Dolan…) et ses collaborations à des revues (L’Avant-Scène Cinéma, CinémAction, Eclipses, Médiamorphoses, Il était une fois le cinéma…) et à des ouvrages collectifs. Mais l’homme est aussi un romancier et Marguerite, diamant bleu ! n’est pas son premier essai. Il est important de rappeler que l’auteur baigne dans le cinéma – d’où le petit liminaire de ses nombreux écrits – pour comprendre que ses romans sont par essence cinéphiliques car il ne peut oublier ses attaches hepta-artistiques. Ainsi son premier roman – fruit de ses doubles amours : le cinéma et l’Italie – s’attaque au monstre du cinéma qu’est l’acteur Gérard Depardieu dans Depardieu à Cinecittà (Hémisphères, 2021).
Marguerite c'est Duras, Janine c'est Jean(-Max)
Jean-Max Méjean, Marguerite, Diamant bleu est roman truffé de références cinématographiques. C’est un ciné-roman qui s’adresse à un double public, littéraire et cinéphile, mais qui enchantera surtout l’amateur d’étoiles et de toiles. Le ciné-lecteur a une grille de lecture cinéphile pour trouver aisément des accointances à des films qui ont nourri l’auteur. Marguerite, “la papesse de la littérature française“, c’est Duras, et Diamant bleu ! fait référence à L’amant – le roman (comme le film) le plus célèbre de Duras où le richissime Chinois amoureux de la jeune Marguerite, seulement âgée de 15 ans, lui offre en témoignage éternel de son amour un diamant bleu. Alors qu’il lui avait dit qu’il valait vingt mille francs, le premier diamantaire, auquel sa mère le propose, en offre dix mille francs comme le diamant a un crapaud, un défaut grave, qui en diminue considérablement la valeur (on peut alors se demander quelle était l’intensité de l’amour de l’Asiatique). L’histoire – imaginaire, comme la rencontre de Depardieu et de Fellini dans le premier roman – est celle de Janine, jeune journaliste montpelliéraine écrivant pour la revue TextureS, qui monte en Ile de France pour assister à la dernière journée de tournage du film Le Camion de Marguerite, une romancière et réalisatrice mondialement reconnue, qui est son idole. Elle pourra lui parler et consacrer un article conséquent. De fait, l’auteur nous plonge d’entrée dans les années 1970, alors que Marguerite Duras tourne Le camion avec… Gérard Depardieu, absent lors de l’arrivée de Janine. L’auteur est ainsi doublement fidèle à ses amours, intemporelles et omniprésentes. La jeune journaliste n’est autre – comme Flaubert disait avoir été Madame Bovary – que Méjean ! Le prénom de Janine n’est pas pris au hasard, il est le féminin de Jean(-Max) ! Son roman est autobiographique – tout comme Jeanine a “envie de se lancer dans l’écriture plus sérieuse d’un roman un peu autobiographique, où elle dirait elle aussi son enfance torturée” – mêlant rêve et réalité. Jeanine et prête à rêver comme Méjean nous plonge dans son rêve, et l’on se demande où est le vrai et où est le faux, le roman et le réel. Mais qu’importe, le cinéma n’est qu’illusions et les lettres des jeux de mots ! Dans sa jeunesse, étudiant en cinéma et philosophie à Montpellier, l’auteur réellement écrit à Marguerite Duras qui, contre toute attente, lui répond mais il ne la rencontre jamais. La rencontre de Janine et Marguerite est la rencontre imaginaire concrétisée entre Duras et Méjean qui régénère et renforce ses souvenirs de jeunesse. On pense à Amarcord (Je me souviens) de Fellini.
Un road-movie initiatique
Janine traverse la France et le temps en deuch – symbole hexagonal de toute une époque et d’une jeunesse aventureuse et heureuse – et chaque ville est une étape initiatique, riche en découvertes qui forgent son esprit et transforment la timide jeune fille en une femme mûre et sûre d’elle. L’auteur, éternel voyageur – mi-provincial mi-parisien, mi-sudiste mi-nordique, donne mille détails réalistes nous plongeant in live avec Janine dans les différentes capitales. Paris :
Ses pas hésitants l’entraînent vers le bas du cimetière (du Père Lachaise), remarquant au passage qu’elle n’aime pas du tout ce quartier encore noirâtre et populaire et descend vers la place de la Bastille pour visiter à son rythme le quartier du Marais qui la déçoit aussi parce que les hôtels particuliers, notamment ceux de la place des Vosges, ne sont pas bien mis en valeur". Montpellier : "Vers 18 heures, elle arrive aux Arceaux. La ville de Montpellier semble dormir sous des restes salis de neige, assez abondante par endroits. Cela a dû alimenter les discussions toute la journée. Elle remonte l’avenue d’Assas, contourne le Peyrou et se retrouve bientôt en haut de la rue Saint-Guilhem où elle trouve facilement une place pour se garer". Cannes : "Ils décident de ne pas respecter le voeu qu’elle avait émis avant de partir : aller caresser à Cannes le mur de la villa La Californie en souvenir de son idole, Pablo Picasso.
Janine ne pensait cinéma que par “procuration”, indirectement, théorisant sa passion du cinéma par les médias, mais ses voyages – dont la première étape décisive est la rencontre avec Marguerite – vont lui faire découvrir le vrai monde du cinéma, les personnes et les tournages de films, même si sa perception est enjolivée : toutes les personnes sont charmantes, tous ses frais d’hôtel sont pris en charge par la maison de production de Marguerite. Surtout, Janine change intérieurement et fait des rencontres intimes – elle oublie Camille, son mec qui n’a jamais pu terminer sa licence de Lettres modernes, pour Adrien, un auto-stoppeur rencontré par hasard sur la route – qui vont renforcer sa personnalité et lui donner envie d’écrire son livre – ceux qui écrivent d’abord des articles, écrivent ensuite un livre – et de faire un enfant. “La boucle est bouclée” comme disait Mario (Fernandel), Le coiffeur pour dames (Jean Boyer, 1952).
Marguerite, Diamant bleu ! est un petit bijou scénique – À offrir donc, Messieurs ! À s’offrir, Mesdames ! – qui nous embarque tous et toutes dans le milieu cinématographique des années soixante-dix. La longue rencontre Janine-Marguerite est captivante et l’Odyssée de son héroïne donne une vision de l’Autre côté du Grand écran, celle des journalistes et des critiques (débutants ou pas) de cinéma qui viennent en voiture et dorment dans de petits hôtels. La poésie :
Elle boit rapidement sa tasse de café dans laquelle elle a versé un nuage de lait et se perd dans ses pensées ») et l'humour (« Elle renonce à sa virée à Maguelone et rentre chez elle après avoir fait un détour par le marchand de journaux où elle achète une revue féminine qui annonce en couverture : Tout, tout, tout, vous saurez tout sur la grossesse. Ça va la changer de La princesse de Clèves et de ses études littéraires .
sont aussi au rendez-vous, avec bonheur, et un troisième ouvrage, toujours sur le Monde de 7e Art, est à venir. Il devrait clore ce triptyque méjeanien et nous fait déjà rêver..

Chroniqueur : Albert Montagne
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