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“Quand le disciple est prêt, le maître apparaît”, dit un vieux proverbe oriental. Michel Onfray a eu une chance immense : celle d’avoir eu pour “Maître” – à la fois au sens propre et au sens figuré – Lucien Jerphagnon, dont les Éditions “Bouquins” ont publié une partie des œuvres. Dans une lettre du 20 novembre 1996, le “vieux maître” écrit à son ancien élève : “Vous devez nous donner un De Gaulle. Et je sais des gens qui l’aimeront. Ce parallèle… De l’Onfray pur et dur ! Tout ce que vous dites est fulgurant, vos formules…” (p. 10) Ce “vieux maître”, professeur de philosophie et historien de l’Antiquité avait enseigné à Michel Onfray à ne pas être “professeur de philosophie”, mais à “mener une vie philosophique”. Quel bel exemple de transmission initiatique. L’engagement de l’élève le prouve. Tous ceux qui le côtoient m’ont assuré que c’est bien le cas. Ce n’est donc pas avec des yeux d’historien qu’il convient d’aborder “Vies Parallèles : De Gaulle & Mitterrand”, mais par le biais de la philosophie et des nombreux philosophes auxquels il fait référence. Cet ouvrage, c’est bien de “l’Onfray pur et dur”. C’est un livre qui – à mon sens – s’adresse à un public qui n’a pas connu la période des “Trente glorieuses”, et surtout celle des “années Mitterrand”. Un public plus jeune, qui n’a que faire des vieux clivages idéologiques et politiques, et qui voudrait comprendre pourquoi notre société européenne est en proie à un tel déclin, une crise, puis un “choc des civilisations” prophétisé par André Malraux. Le Général de Gaulle est arrivé à une période où le peuple français – la France de Vichy – avait besoin d’un maître, justifiant ainsi l’adage cité en liminaire. Mais l’Histoire est le produit de deux facteurs : la loi générale des choses qui a engendré un De Gaulle, et l’homme qui la méconnaît. Cet homme-là fut François Mitterrand.

Michel Onfray a-t-il voulu opposer Charles de Gaulle à François Mitterrand pour glorifier le premier afin de mieux jeter l’opprobre sur le second ? Le match, si c’est bien dans l’esprit du philosophe une partie qui devrait se jouer entre les deux hommes par sa plume interposée, est bien inégal. On ne compare pas de Gaulle à Mitterrand, pas plus qu’on ne compare André Malraux à Jack Lang. Michel Onfray n’oublie pas de rappeler les faits peu glorieux et la mythomanie de l’auteur de “La Condition humaine”. François Mitterrand est le produit du Général de Gaulle. Il n’existe qu’à travers lui, avec – ne l’oublions pas – comme arbitre un pays qui l’a plébiscité deux fois dans les urnes. À la suite du référendum de 1969 qui a encouragé Charles de Gaulle à quitter le pouvoir, sa réaction est plutôt celle d’un homme orgueilleux. Jean Mauriac a rapporté son propos : “Ils ont choisi d’être un petit peuple.” (p. 17) Pour autant, il me paraît injuste d’accuser François Mitterrand d’être le parangon de la “petitesse” du peuple français. Malgré ses erreurs politiques, il n’en n’est pas l’entier responsable. Ce qu’on peut lui reprocher : avoir berné la France en affirmant avec hardiesse et en niant de même. Mais c’est là toute la science du politicien. “Je vous ai compris” du 13 mai 1958, ne relève-t-il pas de la même logique ? “Un péché d’anachronisme”, nous dit Michel Onfray. Nonobstant, François Mitterrand, ministre de l’Intérieur avait déclaré quatre ans plus tôt : “l’Algérie c’est la France et la France ne reconnaîtra pas chez elle d’autre autorité que la sienne.” François Mitterrand s’est imposé à sa génération avec tranquillité et cynisme. Comme le Sphinx, auquel on l’a souvent comparé, il demeure une énigme éternelle. Son passé trouble dans des conventicules d’extrême droite et le gouvernement de Vichy en sont les preuves. En réalité, La France avait déjà entamé son déclin lorsque le capitaine Dreyfus a été déshonoré dans la cour des Invalides. Par l’enchaînement des causes et des effets, n’est-ce pas de là dont viennent tous nos maux ? La France a eu besoin d’Émile Zola, comme elle aura besoin du Général de Gaulle pour – un temps – restaurer sa grandeur. Le problème de la France c’est qu’elle cherche son idéal bien trop haut. Elle finit toujours par subir le martyre sans obtenir le ciel !

Parce que “Vies Parallèles : De Gaulle & Mitterrand” est un “Onfray pur et dur”, il est forcément très bien documenté, sourcé, doublé d’un zeste de polémique qui demeure la marque de fabrique du philosophe : celle de pénétrer le fond des turpitudes humaines. Il est d’une lecture très agréable et – une fois de plus – on ne peut que louer son talent. À peine pourrait-on lui reprocher une vision manichéenne des deux personnages. Dans notre monde il n’y a pas que deux espèces d’hommes : les honnêtes et les coquins. Il est fréquent de s’éparpiller entre les deux. Mais ceci, Michel Onfray ne l’ignore pas. C’est un grand philosophe.

L’espèce humaine aura beaucoup de mal à se débêtir. Elle n’y est d’ailleurs jamais parvenue. L’Europe en général, et la France en particulier sont en proie à un inévitable déclin. Disciple d’une forme de synarchie qui la conduit à être dirigée par la mondialisation, elle n’est pas prêtre à changer de paradigme. Ce n’est donc pas demain qu’un nouveau maître, à l’image du Général de Gaulle, va apparaître…

Jean-Jacques BEDU
contact@marenostrum.pm

Onfray, Michel, “Vies parallèles : De Gaulle & Mitterrand”, Robert Laffont, 03/11/2020, 1 vol. (403 p.), 21,00€

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