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Vincent Haegele, Un printemps à Naples, Passés Composés, 02/04/25, 272 pages, 21 €

Dans le grand échiquier des empires, certaines cités agissent comme des sismographes, enregistrant les secousses du monde et les ambitions des puissances qui s’y disputent l’influence. Naples est de celles-ci. Laboratoire politique à ciel ouvert, posée entre la fureur du Vésuve et les murmures de la Méditerranée, elle fut, à la charnière des XVIIIe et XIXe siècles, le théâtre où se joua le destin de l’Europe. C’est dans ce creuset incandescent que nous plonge Vincent Haegele avec Un printemps à Naples, une fresque magistrale qui saisit la ville au cœur de ses contradictions, entre l’aspiration à l’indépendance et le poids des tutelles étrangères.

La solitude des Couronnes

Le récit s’ouvre sur le règne complexe de Ferdinand IV de Bourbon et de son épouse, la volontaire Marie-Caroline d’Autriche. L’auteur peint le portrait de souverains incarnant le dilemme napolitain : un roi chasseur, profondément ancré dans le terroir et le dialecte de son peuple, et une reine habitée par le réalisme politique, sœur de Marie-Antoinette, déterminée à affranchir son royaume du pacte de famille qui le lie à la France et à l’Espagne. Leur quête d’autonomie, incarnée par l’ascension du ministre John Acton, se heurte aux traditions, aux intrigues de cour et à la force tellurique d’une nature qui rappelle constamment la précarité des constructions humaines. Le tremblement de terre qui dévaste la Calabre en 1783 résonne alors comme le funeste prélude aux convulsions révolutionnaires qui allaient bientôt ébranler le continent tout entier.

La pulsation d’une plume

Vincent Haegele déploie une écriture qui épouse les soubresauts de son sujet. Son analyse, nourrie aux sources les plus intimes de la diplomatie et des correspondances privées, confère une granularité vivante à l’Histoire. Alternant le grand-angle des chancelleries européennes et le huis clos des appartements royaux, il fait entendre la voix des acteurs, leurs espoirs et leurs angoisses. Le style combine la rigueur de l’historien et la sensibilité du littéraire, restituant l’atmosphère d’une cité à la fois phare des Lumières et gardienne de rites séculaires. Chaque description de la vie napolitaine, depuis la ferveur populaire autour du miracle de saint Janvier jusqu’aux subtilités des hiérarchies sociales, révèle une ville-monde, foisonnante et insaisissable.

Le spectre de la Révolution

L’ouvrage explore en profondeur le drame originel que fut l’éphémère et sanglante République parthénopéenne de 1799. Cette expérience, écrasée dans la violence par les armées sanfédistes du cardinal Ruffo, constitue une césure tragique. Elle scelle la méfiance du trône envers une partie de ses élites et la fracture entre une capitale jacobine et des campagnes légitimistes. L’arrivée de Joseph Bonaparte en 1806, porté par les aigles napoléoniennes, incarne la promesse d’une nouvelle ère. Le frère aîné de l’Empereur, homme des Lumières et administrateur pétri de rationalité, découvre une société dont les codes lui échappent. Son règne est un fascinant chassé-croisé entre la volonté réformatrice et la confrontation au réel. Son propre éblouissement pour Naples, cristallisé dans sa passion pour la duchesse d’Atri, symbolise l’attraction d’un conquérant pour une civilisation qui finit toujours par absorber ceux qui prétendent la dominer.

Un printemps à Naples offre une compréhension profonde de la manière dont une nation forge son identité au carrefour des catastrophes et des révolutions. Vincent Haegele révèle Naples comme le point de convergence des dilemmes d’une Europe en pleine mutation, une cité où la permanence des traditions et la violence de la modernité politique se sont heurtées avec une force inouïe. Le livre se referme, laissant le lecteur face à la beauté tragique de ces destins royaux et populaires, pris dans les marais d’une histoire qui les dépasse.

Image de Chroniqueur : Jeanne Lartaud

Chroniqueur : Jeanne Lartaud

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