Le savoir contre la peur. L’intelligence contre l’ignorance. La complexité contre le populisme.
La croisade pseudo-historique du polémiste surmédiatisé pour une France éternelle et contre l’Autre est démontée ici, en quelques pages, par ce collectif d’historiens qui proposent Zemmour contre l’histoire. Les éditions Gallimard qui, pendant le premier confinement au printemps 2020, avaient mis gratuitement en ligne les « Tracts de crise », montrent encore une fois la force de cette collection dans le débat public. Évidemment, entre ma lecture et la rédaction de cette chronique, les résultats de l’élection présidentielle, puis du premier tour des législatives sont venus désamorcer, partiellement – momentanément –, l’effet de bombe produit par cette candidature.
« Faut-il répondre à Éric Zemmour sur le terrain de l’histoire ? », s’interrogent les auteurs dès la première phrase de l’opuscule. C’est visiblement le parti de ces historiens qui reprennent et décortiquent quelques-unes de ses citations, non exhaustives, extraites de ses écrits ou de ses interventions médiatiques. Et nous ne pouvons qu’être d’accord avec eux : à quoi cela rimerait-il d’affirmer des choses fausses ? Enseignerait-on encore le géocentrisme parce qu’il paraîtrait plus intuitivement compréhensible ? « Même avec la prudence qu’elle exige, la recherche historique établit certains faits de façon définitive. » De Clovis à de Gaulle, de la Saint-Barthélemy au régime de Vichy, chacune de ces pages scientifiquement argumentée, précise, actualisée quant à l’état de la recherche historique, est une réponse à une approximation, à une vision datée ou fausse, à une manipulation du polémiste. Ainsi, non, Clovis n’est pas oublié, il est encore le sujet de nombreuses recherches et de nouvelles publications accessible à tous les publics ; Godefroy de Bouillon n’est pas français et la première croisade n’est pas une victoire française ; Vichy n’a pas protégé les juifs français ; Alfred Dreyfus n’est pas coupable (quelle indignité d’instiller simplement le doute que peut-être… ! C’est faire le jeu de l’antisémitisme, de la division, selon ce qu’on ressent – ce qu’on ignore – contre la vérité des faits) …
En une vingtaine de sujets, une soixantaine de pages, Zemmour contre l’histoire démonte les mécanismes d’un discours nationaliste qui, au minimum, travestit l’histoire, contre les faits, par ignorance ; au pire, contorsionne sciemment les faits au profit d’une idéologie. Porter un discours qui n’est pas un discours de vérité, imposé par des universitaires du haut de leur chaire, mais un propos nuancé, précis, qui laisse la place au questionnement, qui étaye ses hypothèses, est une démarche salutaire qui s’adresse à l’esprit, à l’intelligence de chacun, à l’intelligence collective. Or, il faut bien admettre que nous sommes moins sensibles à un discours rationnel qu’à un discours qui flatte ce que l’on ressent. Comment lutter contre le sentiment même quand celui-ci s’éloigne du réel ? Ne nous y trompons pas, ce tract Gallimard n’a été lu, n’a convaincu, que des lecteurs qui l’étaient déjà. Les autres ne liront pas ces historiens engagés, et ceux qui les liront trouveront qu’« ils pinaillent » sans contredire la « vision » que porterait l’ex-candidat. Il faudra réfléchir, collectivement, sur l’avenir de notre système éducatif pour que la rationalité trouve davantage sa place dans l’esprit des électeurs. Il n’y a pas d’autre moyen de vivre ensemble que de faire appel à la froide intelligence afin que l’homme ne soit pas un loup pour l’homme.
Collectif, Zemmour contre l’histoire, Gallimard, Tracts, n° 34, 03/02/2022, 1 vol. (64 p.), 3,90€.
Textes écrits par un collectif d’historiennes et d’historiens rassemblant : Alya Aglan – Florian Besson – Jean-Luc Chappey – Vincent Denis – Jérémie Foa – Claude Gauvard – Laurent Joly – Guillaume Lancereau – Mathilde Larrère – André Loez – Gérard Noiriel – Nicolas Offenstadt – Philippe Oriol – Catherine Rideau-Kikuchi – Virginie Sansico – Sylvie Thénault.
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