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Roselyne Bachelot, 682 jours, Plon, 05/01/2023, 1 vol. (281 p.), 20,90€.

Dans la salle à manger du député gaulliste Jean Narquin et de son épouse Yvette, il y avait une table bois avec – comme piétement – deux gros plots de bois ménageant une niche en forme de cachette. C’est à cet endroit, qu’au milieu des années 1950, une petite fille se glissait afin d’écouter, subjuguée, les conversations des grandes personnes. Autour de cette table se trouvaient les fondateurs de la Ve République. Loin de l’effrayer, une voix était reconnaissable parmi tant d’autres en raison de son timbre particulier, de son débit rapide et de son intonation puissante et expressive : la voix charismatique et pleine d’émotion d’André Malraux. Celle de Jacques Chaban-Delmas était plus agréable et calme, avec une tonalité légèrement grave et une articulation précise. Tous les « comploteurs » qui devaient ramener le Général de Gaulle au pouvoir se réunissaient dans la maison familiale, et la petite fille n’oublia jamais la parole prophétique de Roger Frey – grand résistant, futur Président du Conseil constitutionnel – qui lui avait dit, alors qu’elle avait à peine dix ans : « Toi, tu seras ministre ! » Simone de Beauvoir écrivait que « la vocation, c’est la liberté de choisir son destin. » Avec une telle enfance baignée dans la politique, il était évident que la petite Roselyne se devait de formuler des rêves qui pouvaient devenir réalité si elle les portait avec conviction.
Roselyne Bachelot a démontré sans conteste sa conviction inébranlable à travers la prise en charge de quatre ministères. Dans notre mémoire reste l’image de son processus décisionnel face à la pandémie de la grippe aviaire, alors menaçante. Déterminée, elle avait agi avec force pour protéger la population, suscitant des critiques d’une rare virulence face à l’échec de commandes de masques et de la vaccination. Mais aujourd’hui, alors que la pandémie de Covid-19 a englouti le monde entier, nous avons tous réalisé la clairvoyance de sa vision et le courage de ses actions.

Et de la conviction il en fallait pour « sauver » le monde de la culture qui avait été mis à genoux, dévasté, par la pandémie de Covid 19. Ce livre sans concession en est le bilan. La crise sanitaire avait précipité les fragilités de l’exception culturelle française mais elle a – durant un temps – démontré son importance dans la vie de nos concitoyens. Pour le nouveau Premier ministre, Roselyne Bachelot était la femme de la situation : « Castex savait mieux que personne qu’il fallait confier les clés de Valois à une vieille tête blanchie sous le harnais des emmerdements. » Elle a été appelée à ce poste – écrit-elle – pour une « mission commando » : « Mes 682 jours à Valois constituent une parenthèse inclassable, une sorte de prototype dont il faut espérer qu’il n’aura pas à être réutilisé. » Afin de préserver la culture et de la faire reconnaître comme un bien essentiel, Roselyne Bachelot a dû faire face à l’opposition de Bercy et du président de la République, et elle a dû se battre pour maintenir sa position. Elle a défendu la nécessité de poursuivre l’action en faveur de la culture, de protéger les professions, les bâtiments, les idées, les libertés et les talents. Elle a ferraillé dans la relation malsaine qu’entretient le pouvoir avec les corporatismes comme la CGT-spectacle ou les artistes qui soutiennent, puis dénoncent dans des cérémonies comme les Césars où l’on touche chaque année le fond :

Cela donne toujours à voir le même scénario : des messieurs dames dans des toilettes à plusieurs milliers d’euros, coiffés, chaussés, bijoutés et maquillés par les meilleurs professionnels de Paris, affichent leurs engagements politiques bien-pensants et accusatoires, parsèment leurs interventions de bons mots laborieux concoctés par un gagman épuisé, conchient le ministre recroquevillé sur son fauteuil comme un boxeur sonné au coin du ring puis se précipitent au Fouquet’s, dont on connaît les tarifs de restaurant ouvrier.

Elle a dû souffrir de l’extrême ingratitude des élus locaux qui, obtenant l’aide de l’État, dénonçaient aussitôt son inefficacité :

Ce qui saute aux yeux, c’est que je suis à la tête d’un ministère démembré, perclus de clientélisme, tournant comme un guichet à subventions, immédiatement accusé, à la moindre tentative de rationalisation, de trôner entre Attila et Gengis Khan.

Dans cet ouvrage empli d’humour et de dérision, Roselyne sait se faire grave lorsqu’elle aborde des sujets plus sérieux, tels que la parité, la lutte contre le sexisme et les violences faites aux femmes, ainsi que la restitution d’un tableau de Klimt aux héritiers juifs du propriétaire spolié. Elle souligne également la nécessité d’une solidarité entre les femmes élues et encourage la sororité en politique. Mais la culture, c’est aussi la sauvegarde d’un patrimoine en péril. Une bombe à retardement pour les prochaines générations :

Malheureusement, tout au long de ces 682 jours, je me suis morfondue sur les bancs du gouvernement, atterrée par le désintérêt profond des parlementaires pour la culture, en particulier par ceux qui nous accusaient de ne pas la considérer comme essentielle.

Roselyne Bachelot est sans concession dans ses critiques. Elle n’hésite pas à nommer les personnes concernées, d’autres se reconnaîtront. Il est à croire que la seule culture qui est promise à l’homme est celle de l’individualisme. Dans quelques décennies, alors que l’intelligence artificielle aura suppléé nos maigres intelligences et que la virtualité aura remplacé les spectacles et les festivals, le ministère de la culture sera devenu inutile. Il y a une fausse citation attribuée à Winston Churchill qui circule sur les réseaux sociaux et qui a été particulièrement reprise lors du confinement. Pendant la Guerre on lui aurait demandé de réduire le budget des arts afin de soutenir l’effort de guerre. Il aurait répondu : « Alors pourquoi nous battons-nous ? ». Qu’importe si cette citation est apocryphe, elle illustre bien le magnifique combat qu’a mené Roselyne Bachelot durant 682 jours.

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Chroniqueur : Jean-Jacques Bedu

Auteur de nombreux essai courronés par plusieurs prix littéraires, Jean-Jacques Bedu est le fondateur de "Mare Nostrum - Une Méditerranée autrement" et Président du Prix Mare Nostrum.

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