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Cécilia Dutter, Aimer d’un cœur de femme : en dialogue avec Marie et Marie-Madeleine, Le Cerf, 08/02/2024, 1 vol. 20€.

Dans son dernier essai intitulé Aimer d’un cœur de femme, l’écrivaine et essayiste Cécilia Dutter nous propose une réflexion teintée de spiritualité sur deux figures féminines majeures du Nouveau Testament : Marie et Marie-Madeleine. Par le biais d’un dialogue imaginaire avec ces deux femmes, l’auteure entend mettre en lumière la façon dont leurs parcours et leurs destinées respectives, bien que radicalement opposés à l’origine, finissent par se rejoindre dans leur amour pour Jésus.

Outre ses ouvrages à succès tels que « L’Amoureuse, le roman de Marie-Madeleine«  (Tallandier, 2021) ou encore « Patience du quotidien«  (Salvator, 2022), Cécilia Dutter est également l’auteure de plusieurs essais où elle aborde des thématiques spirituelles. On pense notamment à  » Etty Hillesum, une voix dans la nuit  » (Robert Laffont, 2010) dans lequel elle retrace le parcours de cette mystique juive sublime morte à Auschwitz pour être allé « consoler Dieu », ou encore « Flannery O’Connor, Dieu et les gallinacés » (Le Cerf, 2016), étude de l’œuvre de cette romancière américaine empreinte de christianisme.

Avec Aimer d’un cœur de femme, Cécilia Dutter reste donc dans la continuité de ses précédents travaux, où elle s’intéresse à des figures féminines ayant mené une quête spirituelle. En abordant également le personnage de Marie, elle met en regard deux parcours de femmes que tout semble initialement opposer, mais que réunit dans un second temps leur amour du Christ. Deux femmes qui finissent par incarner, à travers leurs différences mêmes, un même message d’espérance. On retrouve dans cet ouvrage nombre des thématiques chères à l’auteure : le rapport au divin, la dimension spirituelle de l’existence, la place des femmes dans les Écritures et la tradition chrétienne… Le tout traité avec la sensibilité et la délicatesse qu’on lui connaît.

Des figures féminines en miroir

Dès le début de son essai, Dutter pose le cadre de son analyse en insistant sur le fossé originel qui sépare Marie et Marie-Madeleine.
La première, « vierge comblée de grâce », mène une existence des plus pures, entièrement tournée vers Dieu qui l’a élue pour mettre au monde le Rédempteur. À l’inverse, la seconde apparaît comme une femme au tempérament de feu, courtisane assoiffée de plaisirs et de reconnaissance masculine.
Par cette opposition, Cécilia Dutter souligne combien Marie-Madeleine incarne une forme de féminité libérée – certes controversée – qui tranche avec les canons traditionnels de son temps.
Pourtant, malgré cette liberté revendiquée haut et fort, l’auteure montre aussi les parts d’ombre de la belle pécheresse. Ce portrait sans concession révèle les ambiguïtés d’une émancipation fondée sur la séduction et la domination masculine.
Au-delà de brosser le portrait contrasté de ces deux femmes, Cécilia réussit dans cette première partie à poser les jalons de sa réflexion sur la place de la femme dans les Évangiles et la société de l’époque.
S’appuyant habilement sur les personnages de Marie et Marie-Madeleine, elle aborde des problématiques encore brûlantes d’actualité : la quête d’autonomie féminine, la tentation de l’asservissement aux désirs masculins, la séduction comme arme à double tranchant…
Ainsi, d’emblée, le dialogue imaginaire noué avec les deux femmes bibliques révèle une visée universelle. Au-delà du simple récit ou de la parabole, Cécile Dutter entreprend une véritable herméneutique de la condition féminine.

Deux femmes qui se rejoignent

Au-delà de ce contraste initial, Cécilia Dutter s’attache – dans un second temps – à montrer comment Marie et Marie-Madeleine vont peu à peu se rapprocher, notamment dans leur rapport au Christ. Loin de les cantonner à des rôles stéréotypés, Jésus leur accorde à toutes deux une place essentielle à ses côtés, chacune selon sa sensibilité propre :

Jésus apprécie leur compagnie d’amies. Et, parmi le cercle de celles rassemblées autour de lui, Marie-Madeleine, il semble bien que tu aies la place de la préférée [...] À son contact, tu découvres la possibilité de nouer un autre rapport avec le sexe opposé, plus simple et essentiel que celui fondé sur la séduction.

Ainsi, Marie-Madeleine va opérer sous l’influence du Christ une véritable métamorphose intérieure, la conduisant à une forme d’accomplissement personnel. Cette évolution rapproche son parcours de celui de Marie dont l’auteure loue : « l’intelligence exceptionnelle de mère et de croyante » qui lui permet de « saisir le sens symbolique et la portée de chaque mot, chaque geste, chaque acte posé par Jésus. »
Plus qu’un simple rapprochement, c’est une forme de communion spirituelle entre les deux femmes que met ici en lumière Cécilia Dutter. Communion notamment perceptible dans leur aptitude partagée à décrypter la portée des actes et paroles du Christ.
Par ce lien particulier noué avec Jésus, Marie et Marie-Madeleine accèdent l’une et l’autre à une dimension supérieure de la foi, faite d’intuition et de sagesse du cœur. Elles révèlent ce que peut être une pleine réalisation féminine, dans ce qu’elle a de plus mystique.
Le dialogue imaginaire conduit par l’auteure permet d’approcher deux modèles de sainteté au féminin, saints non pas malgré leur féminité, mais précisément par elle et à travers elle. De quoi interpeller notre conception traditionnelle de la spiritualité.

Deux femmes qui se rejoignent

C’est lors de la Passion que la convergence des deux femmes devient évidente. Au pied de la Croix où est torturé celui qu’elles aiment, Marie et Marie-Madeleine vivent une même communauté de douleur, indissociable de leur amour pour le supplicié :

Par procuration, dans votre chair, votre cœur et votre âme, vous vivez le châtiment qu’il endure [...] Mère et amie de l’homme-Dieu, chacune avec vos tripes et votre tempérament, chacune dans votre rôle respectif, vous êtes présentes à l’ultime étape de son histoire. Tragédie maintes fois prédite, écrite en lettre de feu dans les Écritures.

Par ce partage dans la souffrance, elles accomplissent ensemble une forme de maternité spirituelle, offrant au Christ « le baume de [leur] amour » pour l’aider à traverser l’épreuve.
Plus qu’une simple présence compatissante, c’est une véritable passion commune que vivent ici Marie et Marie-Madeleine. Dans l’accord parfait de leur amour pour le Crucifié, elles épousent ses souffrances et endossent une part du fardeau christique.
De cette communion douloureuse dans l’épreuve jaillit une lumière nouvelle, celle de la Rédemption à venir, à laquelle les deux femmes collaborent par leur offrande consentie. À l’image du Christ, elles acceptent de « payer de leur personne » par amour pour le genre humain. Marie et Marie-Madeleine font preuve d’un amour qui transcende l’entendement humain. Un amour fou, déraisonnable, qui défie les lois de la psychologie ordinaire.
Ainsi, cette scène tragique de la Passion révèle en filigrane la grandeur spirituelle de Marie et de Marie-Madeleine, élevées au rang de rédemptrices auprès de la Victime divine. Une lecture mystique de l’épisode que Cécilia Dutter restitue avec force et justesse.

Des messagères de l’espérance pascale

Enfin, dans un dernier temps, l’essayiste montre comment Marie et Marie-Madeleine vont devenir, chacune à leur façon, des témoins privilégiés et des annonciatrices de la Résurrection du Christ.
La première, en mère habitée par une inaltérable espérance, pressent la promesse divine et l’accueille dans la foi.
La seconde est littéralement le premier témoin du Ressuscité, celle à qui Jésus apparaît au matin de Pâques et qu’il charge d’aller porter la nouvelle aux Apôtres. Dès lors, « l’ancienne pécheresse possédée de sept démons est élevée sept fois par jour au sommet des montagnes pour rejoindre le chœur des anges » et devenir une sainte.
Plus que de simples messagères, Marie et Marie-Madeleine jouent ici un rôle actif, voire décisif, dans l’avènement de la Bonne Nouvelle pascale. La première par sa foi inébranlable, la seconde par son témoignage oculaire.

Ce que révèle magistralement Cécile Dutter, c’est la primauté accordée par le Christ lui-même à ces deux femmes dans la révélation et la diffusion du mystère de sa Résurrection. Une primauté qui viendrait quasiment reléguer au second plan les Apôtres eux-mêmes.
Difficile de ne pas voir dans ce traitement de faveur un signe fort adressé par Jésus, désignant la femme comme l’avenir de la foi et de l’Église. C’est du moins ce que plaide avec conviction et talent notre essayiste.
Au terme de sa lumineuse démonstration, le lecteur ne peut qu’être sensible à la portée universelle du message délivré par Marie et Marie-Madeleine, « guides spirituelles » tellement actuelles…

La voie du salut au féminin

En ces temps troublés, la pureté immarcescible de Marie résonne comme un phare indiquant la voie à suivre : cultiver la simplicité, vivre dans le dépouillement intérieur loin du vacarme médiatique, rester ancré dans la confiance en dépit des chaos. Un modèle de résistance passive bienvenu en notre ère de violence et de toute-puissance technologique aveugle. De son côté, le parcours de Marie-Madeleine rappelle qu’il n’est jamais trop tard pour opérer un retournement salvateur. Sa trajectoire fulgurante du désespoir à la sainteté fait écho à notre soif contemporaine d’histoires positives, de récits de résilience. En ces temps de guerre des sexes, elle réhabilite aussi la grandeur de la femme. Cet amour inhumain qui les habite, cet amour qui va au-delà de l’amour, ne peut être que l’apanage de la femme. Au plus profond de son essence, de ses tripes et de son ventre créateur, la femme possède ce don de pouvoir aimer par-delà la mort.

Oui, seule une mère, seule une amante pouvait se tenir encore debout dans le fracas de l’ignominie, irradiant la Victime d’une présence aussi ferme que tendre. Par-delà les âges, Cécilia Dutter le rappelle avec force dans ce magnifique texte : au cœur du tragique réside une indestructible puissance d’amour, qui porte toujours un nom de femme.

Image de Chroniqueur : Jean-Jacques Bedu

Chroniqueur : Jean-Jacques Bedu

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