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Beaucoup de faits ont été rapportés à propos de ce qui s’est passé en 1962 en Algérie. Des allégations, des rumeurs sont rapportées par les acteurs ou leurs descendants de cette guerre, constituants la même histoire, mais avec des interprétations différentes. Pourtant de nombreuses zones sont laissées dans l’ombre. La plupart des faits de l’année 1962 sont maintenant dévoilés :  accords d’Évian, cessez-le-feu, attentats de l’OAS, exode des Français, indépendance, sort des harkis …
Concernant la population algérienne, des questions se posent à propos de l’état des différents protagonistes.
On ne sait pas vraiment comment les habitants ont vécu dans un pays abandonné par tous les cadres, sans mode d’emploi. Comment ont-ils utilisé les biens laissés vacants. Comment ont-ils pansé les blessures, recherché les disparus ? Qu’ont-ils pensé de la rivalité entre les différents clans…?
Dans son ouvrage, Algérie 1962, une histoire populaire, l’historienne Malika Rahal aborde une série de thèmes dont l’ensemble restitue un état des lieux du pays en 1962, envisageant des sujets variés qui prennent en compte toutes les catégories des populations musulmanes ainsi que les aspects pratiques comme l’état des biens et des objets. Minutieusement, elle a recueilli des faits, des témoignages qui restituent ce qui a été vécu par les habitants en se rapprochant le plus près possible de la réalité.  Elle raconte l’état du peuple face aux épreuves subies et aux défis qui l’attendaient, réalisant une fresque monumentale, originale et passionnante.
Comme elle l’écrit dans l’introduction, il faut considérer l’année 1962 dans son rapport avec une violence extrême, avec des conséquences aussi bien sur les corps collectifs que sur les corps individuels, ainsi que dans le rapport à l’espace et au temps.
Le départ massif et imprévu des Français d’Algérie avait provoqué un bouleversement majeur du fonctionnement de la société.
Tous les problèmes qui se sont posés à cette nouvelle Algérie sont évoqués : l’éducation avec le manque d’enseignants, la santé et la pénurie de soignants, la désorganisation des services publics et la nécessité de reconstruire tous les pans de l’économie.

Ce mouvement vers l’avenir est propulsé par des urgences vitales : se nourrir, se loger, se soigner et éviter de nouvelles catastrophes. (…) l’urgence vitale est plutôt de s’approvisionner en nourriture, déminer les sols, organiser la rentrée des écoles et faire fonctionner les usines tout en mettant sur pied un État, former des instituteurs, médecins et ingénieurs pour assurer le changement d’échelle qui accompagne la transition et le remplacement de l’État colonial par l’État national.

Les thèmes abordés sont multiples. Nous évoquerons seulement certains d’entre eux. La rumeur du sang volé : des Européens enlevés auraient été vidés de leur sang pour soigner les blessés musulmans. Rien ne vient le confirmer, mais il est difficile de prouver que cela n’a pas eu lieu.
L’angoisse des Français d’Algérie : ils furent soumis pendant les derniers mois aux actions du FLN, mais aussi, et surtout aux exactions de l’OAS dont la dérive mortifère n’avait plus de limites : assassinats de toutes les femmes de ménage musulmanes, des facteurs …
1962 est aussi le temps de l’effervescence : les jeunes Algériens sont mobilisés et manifestent, pleins d’espoirs.
La question des harkis reste douloureuse, les témoignages montrent que les situations furent différentes selon les endroits, allant du lynchage ou de l’assassinat dans de terribles conditions, à un retour à la vie normale sans être inquiétés.

Avec lucidité et objectivité, Malika Rahal aborde un point particulièrement sensible qui, pour beaucoup des Français d’Algérie, reste un obstacle majeur dans le cadre d’une réconciliation. Il s’agit du 5 juillet 1962. L’auteur décrit de façon précise ce qui s’est passé ce jour à Oran : l’enlèvement et l’assassinat de plusieurs centaines de Français. Ces évènements qui marquent la conscience collective des pieds noirs et de leurs descendants, sont l’aboutissement tragique d’un contexte particulier à la ville. Il faut le rappeler.
Dans les mois qui précédèrent, la population musulmane a été soumise à des attentats, à des tirs de snipers, à des bombardements d’obus de mortiers. Toutes ces exactions dont l’OAS était responsable ont créé une exaspération, un climat de peur. Elles ont contribué à développer la haine et l’envie de vengeance. Par ailleurs, dans cette période transitionnelle, il y avait une lutte des clans pour prendre le pouvoir. Ceux qui y participaient n’avaient pas l’expérience ou les compétences pour faire respecter une transition dans le calme, car les anciens – expérimentés – avaient été tués ou faits prisonniers. Certains pouvaient même être considérés comme des bandits. L’analyse de Malika Rahal permet de comprendre que toutes les conditions étaient réunies pour une explosion de la violence.
L’auteur évoque aussi les luttes fratricides, la défaite des messalistes : comment le FLN prit le pas sur le MNA, dans un contexte de lutte à mort entre les deux parties. Le retour des réfugiés algériens de Tunisie et du Maroc. La tragique quête des disparus, chacun espérant le retour du disparu ou la découverte de ce qu’il était devenu.

En résumé Malika Rahal nous propose une approche inhabituelle face à ce conflit. Ce livre sera une référence pour tous ceux qui s’intéressent à l’histoire des habitants de l’Algérie, en particulier à celle, si mal connue et si douloureuse, de la période de transition entre le statut de colonie française et celui de nation indépendante. Ce livre devrait être lu par tous les Français d’Algérie et par leurs descendants, car il peut leur permettre de comprendre pourquoi certains faits horribles ont été accomplis, les individus ayant été entraînés dans une spirale de violence irrépressible et une sorte d’hystérie collective. La compréhension, qui ne veut pas dire l’approbation, est l’une des conditions nécessaires au processus de réconciliation des mémoires.

Malika Rahal, historienne, chargée de recherche au CNRS, est spécialiste de l’histoire contemporaine de l’Algérie. Elle dirige, depuis 2022, l’Institut d’histoire du temps présent (IHTP). Elle est l’auteure de plusieurs ouvrages, notamment d’une biographie d’Ali Boumendjel, avocat et militant nationaliste assassiné en 1957 (Belles Lettres, 2011 ; réed. poche : La Découverte, 2022) et d’Algérie 1962. Une histoire populaire (La Découverte, 2022).

Rahal, Malika, Algérie 1962 : une histoire populaire, La Découverte, 06/01/2022, 1 vol. (493 p.), 25€.

Image de Robert Mazziotta

Robert Mazziotta

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