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Régis Jauffret, Dans le ventre de Klara, Récamier, 04/01/2024, 1 vol. (243 p.), 21,90€

Quiconque a un jour lu Régis Jauffret sait le génial équilibre que parvient toujours à trouver l’auteur des Microfictions entre la narration d’histoires originales et une écriture au style inimitable, souvent percutant pour ne pas dire féroce. Et à lire le pitch de son dernier roman Dans le ventre de Klara, l’on salive à l’avance de ce que Jauffret a bien pu faire de cette histoire-là. Lisons plutôt le quatrième de couverture : « De juillet 1888 à avril 1889, Klara Hitler porte dans son ventre celui qui est destiné à devenir l’incarnation du mal absolu. Pour la première fois, la mère du monstre prend la parole sous la plume magistrale de Régis Jauffret, et nous confie le récit de sa grossesse funeste« .

À vrai dire, si la littérature regorge, parfois jusqu’à la nausée, d’histoires qui gravitent autour de la personnalité du führer, peu se sont attachées à ses primes années, aucune sans doute à la brève période de gestation qui précéda son arrivée au Monde, au sein d’une famille bien loin de l’image d’Epinal que nos imaginaires ont pu construire, à rebours de l’histoire universellement connue : en effet, il s’agit avant tout de ce qu’il conviendrait aujourd’hui d’appeler une famille recomposée. Rien de choquant avec nos yeux du XXIe siècle mais beaucoup plus problématique si l’on considère que l’histoire se déroule en Autriche à la toute fin du XIXe siècle. D’autant plus que Klara, l’humble servante, est la 3e femme qu’Alois Hitler, géniteur de l’enfant à naître et officier des Douanes de l’Empire, prend pour épouse. Définitivement, lorsque l’on apprend que les deux parents du futur Adolf sont unis, dès avant les liens d’un mariage imposé, par ceux du sang, à tel point que Klara appelle « Oncle » celui qui chaque soir lui impose le plus rustre des devoirs de chair et que leur union contre-nature nécessite jusqu’à l’autorisation du Pape lui-même…

La religion est partout dans le roman de Jauffret, imposante, sclérosante, véritable ombre portée sur de la grossesse de Klara qui ne trouve un peu d’espace et de liberté qu’en tenant un journal intime, d’abord sur un cahier puis sur un tableau qu’elle efface au fur et à mesure. La religion coercitive s’incarne dans la personne du terrible Abbé Probst pour qui tout est péché mortel, nécessite absolution et pénitence et qui fait régner la terreur sur ses drôles de paroissiens. La mort est également omniprésente, Klara a pris la place dans le lit nuptial de la femme qu’elle servait et qui est morte comme sont morts les deux premiers enfants que Klara Hitler a mis au Monde. Au récit de ces décès consécutifs à des maladies mal soignées, s’éclaire la personnalité du père, homme d’un autre temps, à cheval sur des principes qu’il ne s’applique pas à lui-même, pingre au point de refuser à ses proches les soins qui pourraient les sauver, tyrannique voire cruel, raciste et antisémite. Et le roman devient étouffant de toutes ces haines recluses, ensemençant le terreau dans lequel la graine d’enfant grandit et annonçant une enfance dont on ne saura rien puisque le roman se termine à la naissance mais dans laquelle on se projette mentalement pour y trouver les traces des désastres à venir. Et que Klara Hitler résume en une phrase définitive et prémonitoire : « Les femmes sont grosses de l’avenir du monde« .

Tout le génie de Jauffret consiste en cela, dire peu pour révéler beaucoup, sous-entendre mais ne point affirmer pour laisser le lecteur cheminer vers l’innommable. Ce génie se traduit en digressions qui reviennent de plus en plus régulières à mesure que le roman avance, phrases anodines qui débutent dans l’époque de la grossesse puis dérapent sans transition ni ponctuation vers des évocations débridées de l’Holocauste et des massacres odieux de la 2nde Guerre mondiale. Comme l’on pouvait s’y attendre, Régis Jauffret réussit encore une fois un pari risqué dans un roman qui est l’un des grands événements de l’actualité littéraire en mélangeant des éléments réels, dûment documentés et de petits passages de fiction pour combler les manques ou les approximations. Comme il le dit lui-même « Ce roman est constitué de faits et d’imaginaire comme un corps de chair et d’os« .

Image de Chroniqueur : Alain Llense

Chroniqueur : Alain Llense

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