Si, en cette fin d’été, vous n’êtes allés ni en Italie, ni en Grèce, ni à Chypre, ni en Terre sainte, lisez ce livre. Vous aurez ainsi l’impression de l’avoir fait.
Et si vous vous êtes rendus dans l’un de ces pays, lisez ce livre. Vous prolongerez ainsi très agréablement votre périple.
Je le dis donc d’emblée : au stade actuel de mes lectures estivales autant de voyages immobiles dans le temps et l’espace, « De l’amour et de la mer » est mon coup de cœur de l’été 2021.
Tout simplement parce que ce livre est un trésor, au sens que donnent les dictionnaires à ce terme : « richesses amassées et accumulées ensemble. » Il n’est d’ailleurs pas innocent que ce mot vienne du latin « thesaurus » lui-même issu du grec, car parmi toutes les merveilles amoncelées dans cet ouvrage, les plus belles sont issues de ces deux pays.
Dès les premières pages, Véronique Bruez, contrainte professionnellement de vivre à Berk (Belgique) proclame sa « Nordophobie » ; pas seulement à cause de la grisaille ambiante, mais aussi en raison de l’esprit, de la culture, du comportement des gens du Nord. « J’ai dû bien pécher pour connaître un tel purgatoire », écrit-elle… Alors, dès qu’elle le peut, elle s’enfuit de « ce pas pays qui est le sien », cap plein Sud vers la Méditerranée, pour y assouvir tout à la fois son héliotropisme et son amour des cultures qui bordent les rivages de cette mer. Le résultat ? Un livre qui étonne par la diversité et la qualité des richesses auxquelles je faisais allusion plus haut.
Richesse proprement touristique, tout d’abord. Dans ce périple qui nous conduit à Naples, Ischia, puis Patmos, la Crète, plusieurs des îles Cyclades, Chypre, plusieurs des îles du Dodécanèse (Rhodes en tête), puis Jérusalem et les principaux hauts lieux de la Terre sainte, pour enfin revenir et finir par l’Italie à nouveau avec les Pouilles et la Sicile cette fois, l’auteure nous montre à chaque fois les points d’accroche fondamentaux de chacune des régions visitées. De surcroît sur tous les plans : géographie, histoire, arts, culture, gastronomie… Elle met en valeur l’esprit des gens qui vivent dans ces contrées. Elle pratique ainsi très exactement l’anti-tourisme de masse, comme ces HLM flottants qui débarquent et massacrent Santorin. Ce fléau, cette « touristamania » qu’elle dénonce d’ailleurs fort brillamment avec des mots très durs : « plus voyeurs que voyageurs », « ces photos de soi et de l’autre en train de photographier soi, la nourriture grasse, les boutiques qui climatisent la rue… » D’ailleurs note-t-elle lors de son passage à Rhodes, « tous les chats ont fui. »
En lieu et place de contacts avec tous ces touristes occupés, selon l’abominable expression consacrée, « à faire tel pays ou telle contrée », elle voyage sur les traces et dans le souvenir de Saint Jean (Patmos), Lawrence Durrell (Larnaka), Monsu Desiderio (dont elle a la surprise de découvrir un tableau sur les bords de la mer Morte – mais on ne sait pas lequel des trois peintres connus sous ce pseudonyme commun en est l’auteur.) Ou bien elle fait découvrir au lecteur l’extraordinaire réalisation qu’est le Castel del Monte, dans les Pouilles, œuvre plus ésotérique que militaire voulue par Frédéric II de Hohenstaufen à son retour des Croisades en 1240. Étonnant ouvrage, qui combine l’octogone et le nombre d’or !
Et il en va ainsi pour tous les lieux où elle nous invite. Presque seulement, parce que de certains de ces lieux, le lecteur avec elle repart en courant : Eilat par exemple, « presque aussi moche que Berk », assène-t-elle, avant de vite aller se réfugier dans ce chef-d’œuvre de la culture nabatéenne, Pétra.
Mais il est une autre richesse de ce livre qui m’a profondément séduit : son vocabulaire et parfois aussi, la fulgurance ou la poésie des images.
Sur le premier point, j’avoue que si j’avais une idée de ce que peut-être « un pope melliflu » (joufflu) ou de l’occupation à laquelle se livrent « des grecques qui jabotent dans l’eau » (papotent), j’ai buté en revanche sur « le rire qui débelle le sombre » (qui vainc) ou sur « l’italien, langue hypocoristique » (qui exprime l’affection.) Et puis, qu’est qu’une « castramétation ? » (L’art de dresser un camp.) Le « nonchaloir ? » (Une forme vieillie de nonchalance.) « Une colonne impropère ? » (Qui énonce des reproches.) J’ai même cru à une coquille en lisant : « je me sens genreuse » (maniérée.) Autant je déteste le langage savant, utilisé à tort et à travers pour faire précisément « genreux », autant cette langue exacte et nuancée, m’a séduit.
Quelques exemples : « une mer couleur aile de paillon. » Ou bien « dans les Pouilles, j’aime le dépouillé. » Ou encore, admirable de précision : « oublier la destruction des hommes, génitif subjectif et objectif », qui énonce ainsi deux idées en une seule phrase.
Parfois, c’est surprenant : hypnotisé par les rangées de vagues comme des rails de cocaïne. » Ou encore, à propos de Larnaka, une ville laide : « Larnaka, que j’ai rebaptisée Larnacacaboudin. »
En conclusion, je vais me répéter : si vous aimez l’amour et la mer, la Méditerranée plus particulièrement, lisez ce livre. Vous ne serez pas déçus !
Guillaume SANCHEZ
articles@marenostrum.pm
Bruez, Véronique, « De l’amour et de la mer », Gallimard, « Le sentiment géographique », 08/04/2021, 1 vol. (234 p.), 20€
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