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Du verbe au fusil : la terreur sainte, Algérie 1991-2002 : retour sur la décennie noire

Dans son testament spirituel, le frère Christian de Chergé, enlevé par le GIA dans la nuit du 26 au 27 mars 1996, écrivait : « Je ne vois pas, en effet, comment je pourrais me réjouir que ce peuple que j’aime soit indistinctement accusé de mon meurtre. C’est trop cher payer ce qu’on appellera, peut-être, la « grâce du martyre » que de la devoir à un Algérien, quel qu’il soit, surtout s’il dit agir en fidélité à ce qu’il croît être l’Islam. » Le 30 mai 1996, les têtes des sept moines du monastère de Tibhirine sont retrouvées sur le bord d’une route. Suite à la création du Front Islamique du Salut en 1989, et sa dissolution en 1992, l’Islam est devenu une arme de guerre, une justification à la violence, contre Musulmans, Chrétiens, Algériens et étrangers. Dans son nouvel ouvrage, Du verbe au fusil : la terreur sainte, Algérie 1991-2002 : retour sur la décennie noire, le journaliste Amer Ouali dévoile tous les rouages de la montée de l’islamisme en Algérie, à travers l’émergence du FIS, puis du GIA et de l’AIS.

Né d’un mouvement d’ouverture à la démocratie, le Front Islamique du Salut s’oppose à la politique du gouvernement Algérien, auquel il reproche de ne pas renier avec véhémence son passé colonial, mais au contraire de collaborer avec la France, ayant conservé ses valeurs laïques, l’utilisation du Français et son système éducatif. Le projet du FIS est donc de « reciviliser » l’Algérie, lui rendant valeurs et coutumes islamiques, tout en commençant par la création d’un État islamique, une entreprise désormais à portée de main avec l’adoption de la constitution de 1989, et en particulier le droit d’association. Après l’annulation des élections législatives en 1992, le FIS se transforme en une organisation terroriste islamique, ayant pour but de purger l’Algérie de ses valeurs occidentales, non plus par la politique, mais par la force. La façon dont s’est opérée cette transition est un sujet délicat, comme toujours lorsque l’on emploie la terreur pour parvenir à ses à ses fins.

Un homme marche dans une rue d'Alger marquée par les inscriptions du FIS, janvier 1992 (AFP)

Il est très difficile de situer de manière précise, à quel moment a jailli l’idée de constituer un premier groupe armé dans les années 1990. Il est aussi difficile de savoir à quel autre moment elle s’est traduite par des actions. En une décennie en tout cas, la galaxie islamiste a vu jaillir de nombreux groupes armés qui se sont alliés ou affrontés au gré de leurs rapports avec les dirigeants du FIS ou du résultat de la « guerre » qui leur a été menée par les forces de sécurité.

La jeune génération, dont les aspirations avaient toujours été étouffées par le gouvernement Algérien, se joint alors aux anciens membres du FLN pour former les adeptes de cette nouvelle mouvance sociétale. Les membres du GIA et de l’AIS – branches armées du FIS – sont formés pour devenir des machines à tuer, n’ayant aucun scrupule à assassiner hommes, femmes et enfants, qu’ils soient Musulmans Algériens ou Occidentaux. Comme le décrit Amer Ouali, lors de leur arrivée au maquis, les nouvelles recrues « meurent » de façon symbolique. Une branche, les représentant, est enterrée, enroulée dans un linceul. La prière funéraire est récitée ; à partir de ce moment-là, les péchés du djihadiste sont pardonnés par Dieu. Il peut tuer sans que cela ne corrompe sa place au paradis.

Attentat du 11 février 1996 contre le journal "Le Soir" à Alger.

L’intensité des attentats et les risques de mourir dans la rue étaient tels que les imams demandaient aux Algériens de faire leurs ablutions avant de sortir. Ça leur permettrait de mourir « purifiés » si jamais ils étaient emportés par une explosion qui ne leur aurait pas donné le temps de faire la prière.

Ainsi, comment passe-t-on du verbe au fusil ? Comment passe-t-on d’un parti politique qui rêve de donner à l’Algérie une identité propre, décolonisée, à une organisation terroriste qui massacre les siens ? Comment les années 1990, période post-coloniale qui aurait dû se traduire par la libération du peuple algérien, furent-elles rebaptisées « la décennie noire » ? Durant cette période, 8023 personnes sont portées disparues. Au nom de Dieu, le FIS et ses branches armées, le GIA et l’AIS, cherchent le contrôle politique et militaire de la région, utilisant l’Islam comme une manière d’asservir l’Umma. Contrairement à la façon dont le FIS s’est présenté en Algérie, le mouvement islamiste des années 1990 ne représente aucune réforme sociétale ou religieuse, seulement la soif de pouvoir.

Une femme algérienne voilée passe devant un mur avec une inscription "Bientôt l'Etat islamique", le 11 février 1992 dans la Casbah d'Alger, le lendemain de l'instauration de l'état d'urgence par le président du Haut Comité d'Etat Mohammed Boudiaf. / AFP PHOTO / Abdelhak SENNA

Avec ce dernier ouvrage, Amer Ouali définit les motivations, mais également le mode opératoire du FIS, du GIA et de l’AIS. Utilisant comme point de repères divers événements historiques, tels que le massacre de Bentalha, ou encore l’assassinat du jeune chanteur Cheb Hasni, l’auteur retrace la chronologie de la décennie noire, analysant avec brio et discernement l’un des passages les plus sombres de l’histoire Algérienne, méconnue, car le pouvoir algérien a censuré de nombreuses informations à l’opinion internationale.

Amer Ouali
Amer Ouali - DR

Ouali, Amer, Du verbe au fusil : la terreur sainte, Algérie 1991-2002 : retour sur la décennie noire, Éditions Erick Bonnier, 19/05/2022, 1 vol. (280 p.), 22€.

Image de Eliane Bedu

Eliane Bedu

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