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“Ce matin, Elias avait décidé de partir. Oui, partir, conjuguer ce verbe de tout son élan, tout abandonner et s’en aller, comme on se lève d’une chaise ou, miraculeusement, d’un fauteuil roulant. Sa décision était irrévocable et sans détour. Sans hésitation et sans retour, il devait le faire. Partir.”
Ce petit livre en forme de conte initiatique, “Odyssée” moderne ne peut pas nous laisser indifférents. Tout d’abord parce qu’il est un magnifique hommage à la Méditerranée, mais surtout parce que nous sommes tous, tôt ou tard, candidats au départ, voire à l’exil. Le bruit des villes, le rayonnement des hommes mauvais, parfois notre médiocrité qui nous apparaît tous les matins dans le miroir nous inclinent à “larguer les amarres”.

Stasis était une cité qui ne donnait aucune chance et Elias se devait de se donner lui-même sa dernière chance, lui qui avait tout raté, sa vie, son travail, son passé, ses projets et toutes ses chances. (…) La Méditerranée était, à ce titre, aux yeux d’Elias, l’accomplissement d’une intimité singulière entre l’homme et la mer, les cultures et les civilisations, les représentations et la manière d’être, l’histoire et le devenir. Elle était un chant, un hymne, un grand poème dont les vers étaient ses vagues et le souffle de Dieu, ou des dieux d’antan, l’écume. Bramble avait raison, un marin méditerranéen était aussi un poète qui s’ignorait.

Mais avant d’entreprendre le voyage, il faut se demander si le départ est possible dans le monde tumultueux où vit l’Homme d’Occident. Faut-il s’exiler sur des montagnes solitaires, comme Ulysse abandonner toute sa famille, ou enfin prendre le premier cargo vers une destination inconnue ? En 1937, dans la “Beauté invisible”, Maurice Magre écrivait : “Il faut partir. La caravelle est là, les voiles sont gonflées, le vent souffle. Le voyage sera-t-il long ou bref, heureux ou terrible ? Et quand on a longtemps médité sur les possibilités du départ, quand on est sur le point d’y renoncer, il advient que par un invraisemblable jeu de la nature, on s’aperçoit tout d’un coup qu’on est arrivé sans être parti.”
Deux quêtes s’entremêlent dans cet ouvrage où l’auteur fait montre d’un magnifique talent de conteur et surtout d’une érudition qui nous laisse penser qu’il sait que derrière la face visible des choses, se cache toujours l’invisible face. Il y a celle d’Elias à la recherche du mystérieux “Masque de Dieu” qui est celui de la Vérité (ou de la connaissance), et le tout aussi mystérieux Mark IV qui voudrait s’en emparer pour des raisons bien moins louables.

Il devait repartir à sa recherche pour trouver, peut-être, le sens de la vie et de sa vie. Il devait aller de l’avant avant que la mort, inéluctable après un instant ou un demi-siècle, ne rende vide de sens tout sens possible. Elias répondait ainsi à l’élan prométhéen qui le poussait de l’avant, au-delà de cette condition d’hébétude qui le retenait, masquant sa conscience et annihilant sa volonté.

Nous n’avons nulle envie de dévoiler l’intrigue tant elle est passionnante, tout en symbole et en paraboles subtiles servies par un style remarquable. En revêtant le masque de Dieu, Elias permet le regard de l’égal à l’égal. Nous portons tous en nous le plus profond et le plus grands mystères. “Heureux qui comme Ulysse a fait un beau voyage”. Ce n’est pas au vers de Joachim du Bellay que nous pensons en refermant cet ouvrage à nos yeux bien trop court, mais c’est à l’inscription au fronton du “Temple des mystères” sur lequel sont gravés deux mots qui donnent le frisson des choses inconnues : SCIRE NEFAS. Il est néfaste de savoir…

Jean-Jacques BEDU
Contact@marenostrum.pm

Benzelikha, Ahmed, “Elias”, Ed. Casbah, 2020, 1 vol. (89 p.)

Hélas non disponible en France, retrouvez cet ouvrage sur le site de L’ÉDITEUR

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