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Cet ouvrage monumental n’est pas une thèse (la censure des films en France n’est pas un sujet inédit), il reprend de main de maître, de manière exhaustive et fouillée, toute l’Histoire de France de la censure du cinéma français dans la période 1909-1975 (les années X) et tous les auteurs censoriaux, qu’ils soient historiens, juristes, économistes, politologues, sociologues, en s’attachant toujours à compléter et à analyser les idées.
D’entrée, le long titre donne le ton et le style, il est révélateur d’un travail pluriannuel, qui plus est double, regroupant deux livres en un. Le premier livre (pp. 3-253), le plus prenant, s’attache à l’histoire de la censure des films en France. Il est divisé en 9 chapitres ou cadres temporels découpant par décennies quelque 80 ans de censures françaises. Il analyse tant l’évolution des lois, circulaires, règlements et politiques culturelles, que les différentes commissions de censure et les successifs ministères chargés du cinéma.

  1. Les années 1909-1915 sont la genèse de la censure cinématographique. La fascination de la mort et le succès du sous-genre des exécutions capitales du cinématographe débutant font naturellement de « La quadruple exécution capitale de Béthune », actualités filmées morbides, la naissance officieuse de la censure en France en 1909. Désormais le cinéma est un spectacle de curiosité(s) et non de théâtre sous compétence des maires sous contrôle des préfets, ce qui engendre de multiples mesures municipales contradictoires sur tout le territoire national.
  2. Les années 1916-1918 sont la centralisation de la censure du cinéma et la nécessité d’un organe spécialisé, d’où la première Commission de censure nationale sous l’égide du ministre de l’Intérieur.
  3. Les années 1919-1927 consolident la censure du cinéma. Désormais, tout film doit être visé par le ministre de l’Instruction publique et des Beaux-arts.
  4. Les années 1928-1935 sont un essai de libéralisation censoriale. Censeurs locaux et nationaux se complètent et fortifient la censure, au grand dam des professionnels du cinéma qui réclament, comme pour le théâtre, plus de liberté(s).
  5. Les années 1936-1938 sont le recul vers les régimes musclés du passé : au visa d’exploitation classique, sous l’égide du ministre de l’Intérieur, s’ajoute le visa d’exportation qui permet de défendre l’intérêt national et les bonnes mœurs.
  6. Les années 1939-1944 sont l’émergence d’une censure propagandiste, la guerre imposant de nouvelles urgences. Dans une France coupée en deux, deux censures coexistent : une vichyssoise au sud, très active, pour un cinéma nationaliste et patriotique, et une allemande en zone occupée au nord, contre les films immoraux.
  7. Les années 1945-1960 sont la censure paritaire. La fin de la guerre et la Libération sont l’occasion d’un renouvellement complet de la censure avec la création d’une commission de censure paritaire avec des fonctionnaires et des professionnels du cinéma. Les visas sont délivrés successivement par le ministre de l’Information (1945), de la Jeunesse, des Arts et Lettres (1947), de l’Industrie et du Commerce (1948), de l’Information (1956).
  8. Les années 1961-1973 sont de nouvelles entraves censoriales. Le décret du 18 janvier 1961 crée la commission de contrôle des films cinématographiques, non plus paritaire mais quadripartite.
  9. Les années 1974-1975 voient exploser le porno. Pour stopper la déferlante de sexe, le décret du 31 octobre 1975, dit loi X, institue la catégorie des films à caractère pornographique ou d’incitation à la violence, avec des mesures fiscales dissuasives. Le second livre, « La politique symbolique et les films X » (pp. 254-360), détaille cette époque en replongeant dans le contexte politico-social, réglementaire et juridique.

Enfin, des Documents (pp. 361-466), une Bibliographie abondante, détaillée et sérieuse (pp. 467-546), un Index des noms (pp. 547-576) (Brigitte Bardot voisinant avec Valéry Giscard d’Estaing), une Filmographie (pp. 577-591), parachèvent le tout. Pour conclure, résumer un tel livre, dense et érudit – pavé censorial de poids (un kilo cent) – est une gageure, tant les films et les exemples sont nombreux. Cependant, on peut s’étonner de la surabondance de notes, au surplus très argumentées, qui prennent parfois autant, si ce n’est plus, de place que le texte principal (demi ou trois quarts de page), et qui peuvent déconcentrer le lecteur et lui faire perdre le fil censorial. De fait, le prix élevé (80 €) réserve cet ouvrage à des bibliothèques et à des spécialistes de la censure. Une nouvelle édition, expurgée de cette pléthore de notes et avec moins de documents (au demeurant aisément accessibles pour tout chercheur), rendrait l’ensemble plus lisible, concourrait à une publication moins chère, à diffusion plus large à destination des étudiants, historiens en cinéma et cinéphiles, et constituerait un manuel d’introduction sur la censure filmique. Bref, une somme qui dissèque avec sérieux et minutie les mutations politiques et censoriales du cinéma français. Pour les années 1980-2010 (manquantes mais qui pourraient donner lieu à un ajout), on adjoindra « Le contrôle cinématographique en France. Quand le sexe, la violence et la religion font débat » de Christophe Triollet (L’Harmattan, Coll. Champs Visuels, 2015, 25 €). Ultime pensée, on pourrait rêver à une « Étude historique sur la censure des films en Grèce »

Albert MONTAGNE
articles@marenostrum.pm

Kechris, Antonis, « Etude historique sur la censure des films en France : de La quadruple exécution capitale de Béthune (1909) à l’explosion pornographique des années 1970 – Suivi de La politique symbolique et les films X : un souvenir de l’époque giscardienne », Sakkoulas, Athènes, 27/04/2021, 1 vol. (611 p.), 80€

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