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Collectif, Femme, rêve, liberté : 12 histoires inédites, sous la direction de Sorour Kasmaï,  Actes Sud, 29/09/2023, 1 vol. (181 p.), 16€.

Le titre de ce collectif, qui aurait pu tout aussi bien s’intituler “12 femmes en colère”, écho à un titre célèbre, doit tout à l’actualité. Il y a un an, le 16 septembre 2022, mourait à Téhéran une jeune Iranienne d’à peine 22 ans, Mahsa Amini. Étudiante, elle avait été arrêtée par la police pour n’avoir pas porté le voile. Emblématique des violences faites aux femmes en Iran, cette mort a embrasé le pays. Au cri de “Femme, Vie, Liberté”, de nombreux manifestants, hommes et femmes, ont défilé dans le pays. C’est pour leur rendre hommage que Sorour Kasmaï a demandé à 12 autrices iraniennes, d’âges différents, dont certaines sont exilées, tandis que d’autres vivent encore en Iran, d’écrire les textes qui composent ce recueil. Ils relèvent de genres hétérogènes, mais mettent en question le pouvoir politique et la police des mœurs qui sévit dans leur pays d’origine. Ils interrogent la place de la femme au sein de la société iranienne et son invisibilisation par le voile : “Rempart idéologique de la théocratie au pouvoir, le hijab est ainsi devenu un thème de propagande soumettant la moitié de la population à la surveillance de l’autre.” 

L'écriture en exil à l'épreuve de l'Iran

Le premier texte du recueil interroge le bien-fondé de cette démarche. L’auteure y examine trois raisons, qui la font douter de sa légitimité à écrire sur le sujet. Se référant aux excuses que Virginia Woolf présente dans Trois guinées, elle les examine successivement. Sa première réticence tient au fait que vivant à l’extérieur, elle sent que la réalité lui échappe, qu’elle ne vit pas la détresse quotidienne des Iraniens, et craint d’occuper une position voyeuriste. La seconde raison réside dans le risque qu’elle pourrait faire courir à ceux qui sont restés, et de voir les appels lancés depuis l’étranger ne détournent les Iraniens des troubles agitant leur pays. Elle redoute que son indignation ne soit récupérée par le régime, prompt à dénoncer l’ingérence de l’Occident dans les affaires iraniennes. Enfin, elle craint que par un effet d’amalgame, tous ceux que l’on considère comme étrangers en Iran ne soient visés par la répression, en particulier les adeptes de la foi baha’ie, à laquelle elle consacre un long développement. Très rhétorique, ce jeu de protestation lui permet, en définitive, de répondre à l’appel lancé et de délivrer un message.

Lire pour résister : les livres, remparts contre la barbarie

Le second récit, en forme de nouvelle, témoigne de l’amour de la lecture dans un pays gangrené par la censure. L’auteure, Asieh Nezam Shahidi y met en parallèle le goût d’une jeune étudiante lisant dans un café Peau neuve de Carlos Fuentes, et le sien pour un roman d’Hubert Le Porrier qu’elle avait lu à l’aéroport de Londres, à l’âge de 17 ans, suscitant la curiosité d’Iraj, un jeune activiste exécuté plus tard par le régime. L’amour des livres vécu comme un rempart à la barbarie rappelle le beau livre d’Azar Nafisi Lire Lolita à Téhéran. Le troisième texte, Un après-midi à Téhéran, signé Azar Maloujian, raconte l’angoisse d’une mère dont la fille, Mehri, a disparu, sans qu’on sache où elle est passée. L’Épiphanie, d’Aida Mohadi Arani, raconte la peur de l’enfer et le sentiment lié au péché, mais aussi les contraintes liées au vêtement, ce « bouclier à mon honneur et à la chasteté », dit la narratrice, en milieu scolaire, à travers le récit des journées ordinaires, qui se répète tout au long de sa scolarité, et la manière dont les livres l’aident à survivre.

À l’époque, je croyais que nous nous ressemblions, le fœtus et moi. Des objets flottants marginaux. Ce que je ne devinais pas, c’est que nous étions aussi rebelles l’un que l’autre. Nous voguions dans l’attente d’une épiphanie. Pas celle d’un tiers, mais la nôtre.

Disparitions, répression et espoirs : récits de vies de femmes en Iran

Dans Un jour aux airs de liberté, Sahar Delijani évoque la sortie de prison d’Azar, que personne n’est venu chercher. Confrontée à la solitude et à la souffrance, elle revit les étapes de son emprisonnement. Quant à Parisa Reza, elle évoque dans Les Trois cent un fait historique (comment, en 1911, trois cents femmes avaient envahi le Parlement iranien à la suite de l’ultimatum russe et menacé les députés), et rend hommage au courage de ces militantes, devenues selon les termes de William Morgan Shuster, dans un livre publié en 1912, “les plus progressistes, pour ne pas dire les plus radicales du monde.” Pour Pariza Reza, le courage des Iraniennes d’aujourd’hui puise ses racines dans ces événements historiques.
La nuit où Pouneh a disparu, de Fariba Vafi, fait le récit de l’incompréhension d’un père face au comportement et aux demandes de sa fille, et de la disparition de celle-ci, un jour de manifestations. Fahimeh Farsaie met en scène l’opposition d’un couple, le mari obsédé par l’inversion de la rotation du noyau de la terre, motif qui donne son titre à la nouvelle, alors que sa femme, passionnée de cinéma, mais qui a besoin de son autorisation pour s’absenter, rêve de se rendre à la Berlinale. Code contrôle, de Nasim Marashi, interroge le vêtement et la manière dont il exerce un contrôle du corps féminin à travers son vécu (enfance, mariage) et celui d’un certain nombre de femmes, finissant parfois par être intériorisé.
L’œil de Farah, de Sorour Kasmaï, l’initiatrice du recueil, raconte la vie d’une institutrice missionnée dans un quartier pauvre de Téhéran au nom d’un programme d’alphabétisation des femmes. Farah, l’une de ses élèves, dont le “foyer ardent est aveugle” , arrive un jour en classe avec un œil au beurre noir… Le plomb, de Zahra Khanloo, parle des blessés par balle, au cours de manifestation, Un petit tour en voiture, de la disparition d’une jeune fille nommée Hasti.

Ainsi, ce recueil décline tous les aspects du quotidien des Iraniennes, quelle que soit leur appartenance sociale. Il témoigne de la fécondité de la littérature féminine dans ce pays, qui émerge pour la plupart après l’arrivée des ayatollahs au pouvoir, dans un contexte de répression et de censure. Qu’il s’agisse d’oppression domestique, violences conjugales ou parentales, violence sociale des barbus et des gardiennes de la révolution, côtoient le désir d’évasion par la libération vestimentaire, les voyages ou les livres. Tous ces récits mettent à mal les idées reçues sur la soumission féminine, en montrant des femmes fortes, qui luttent et qui s’entraident. Les bénéfices des ventes du livre sont reversés à Iran Human Rights, ONG très active précise le quatrième de couverture, en particulier dans la lutte contre la peine de mort.
Des textes forts et bouleversants.
Une mosaïque de figures attachantes, qui présente les combats des femmes iraniennes pour leur vie et leur liberté.
À lire absolument.

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Chroniqueuse : Marion Poirson-Dechonne

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