Gaïdz Minassian, Arménie-Azerbaïdjan, une guerre sans fin ? : anatomie des guerres post-soviétiques : 1991-2023, Passés composés, 07/02/2024, 1 vol. (366 p.), 22€.
En ces temps de renouveau des conflits que nous croyions appartenir à un passé révoltant, notre petit confort douillet et notre égoïsme atavique est constamment titillé par les informations, qu’elles soient sonores, télévisuelles ou écrites. Sur des cartes continuellement mises à jour en raison de l’évolution de la situation, nous voici plongés au cœur du conflit russo-ukrainien ou de celui, plus récent, d’Israël contre le Hamas. Dans nos souvenirs récents, nous faisons mention des crises africaines, afghanes et moyen-orientales, faisant passer à la trappe de l’histoire les rancunes qui sourdent des tréfonds de l’histoire mondiale. Fort de cet état de choses, rares sont ceux qui trouvent une parcelle d’intérêt aux autres duels. Pour les autres, il serait bon de commencer à y jeter un œil pour ne pas être surpris lorsque tout ceci va nous « péter à la gueule ».
L’autre peuple martyr
Depuis des siècles, une petite communauté dont la seule faute est d’être chrétienne, subit les avanies et les massacres traditionnels de moult entités turcophones. De pogroms en génocides, les Arméniens, dont le courage est éprouvé, s’arc-boutent sur une terre hostile et sauvage, au sein de laquelle ils prospèrent difficilement.
En état de défense permanente, en raison de ses belliqueux voisins qui ne demandent qu’à l’exterminer, l’Arménie se forge une identité propre, luttant sans cesse contre un anéantissement. On pourrait croire que le temps et les génocides successifs apaiseraient la violence souterraine des Turcs ou des Azéris mais il n’en est rien. En effet, même lors de la création de l’URSS et de l’implacable régime policier qui s’ensuit, les Azéris, titillés en cela par les républiques caucasiennes qui partagent la même religion, commettent régulièrement des actions meurtrières.
Imbroglio géographique
Si l’on regarde de près les frontières de l’Arménie et de l’Azerbaïdjan, on remarque tout de suite que la situation ne peut qu’être explosive. Un pays coincé entre la Turquie au sud, la Géorgie à l’ouest et l’Azerbaïdjan au nord et à l’est. Rien de très compliqué, direz-vous. Attendez la suite ! Comme une tâche, une région presque exclusivement composée d’Arméniens se trouve en plein Azerbaïdjan. C’est le Haut-Karabakh. Mais il y a mieux : engoncé entre l’Arménie et la Turquie se tient le Nakhitchevan, partie intégrante de l’Azerbaïdjan dont les habitants doivent traverser le pays de leur ennemi héréditaire pour se rendre dans la mère patrie. Tout ceci ne peut que nous rappeler une certaine situation au Proche-Orient.
Les Azéris, dont le pays est né de la révolution russe, tout comme l’Arménie, se considèrent de race turque, en ont la langue et les coutumes et peuvent compter depuis longtemps avec l’aide plus ou moins voilée d’Ankara et le soutien religieux de la Tchétchénie, sa voisine directe. Les Arméniens, de leur côté, tentent de se rapprocher des Géorgiens, qui ont déjà à régler leurs propres problèmes, et non des moindres.
Casse-tête diplomatique
Cette région est un véritable chaudron, et les contrées voisines n’échappent pas à la règle. Jugeons du peu : la Géorgie, sitôt l’URSS démantelée, débute une guerre civile entre les Géorgiens de souche et les Abkhazes dans l’ouest du pays. Guerre meurtrière se terminant par un statu quo intolérable pour les autochtones. Bientôt, le nord de la contrée connaîtra de nouveau la mort et les exactions lorsque les Ossètes du Sud s’autoproclameront indépendants. Près de l’Arménie et de l’Azerbaïdjan, le Caucase s’enflamme autour d’un islamisme de plus en plus prégnant, en Tchétchénie ou au Daguestan.
Dans ce climat délétère, avec le prétexte d’assurer la sauvegarde de leurs compatriotes, les premiers coups de feu résonnent dans le Haut-Karabakh. De charybde en scylla, la crise prospère jusqu’à devenir une vraie guerre. Immédiatement, tout le monde s’en mêle et pas toujours pour de saines raisons. Les « grands frères » russes veulent peser lourd dans la résolution de l’affaire pour faire régner leur mainmise sur leurs anciennes possessions, les Américains – pourquoi toujours eux ! – tentent d’imposer leur vision du monde tandis que Turcs et Européens ébauchent une médiation plus ou moins intéressée. De tout ceci, rien de vraiment positif ne sort.
Corruption, pétrole et retournements de veste
Tandis que se succèdent les dirigeants en Arménie, l’Azerbaïdjan se dote d’un président « père du peuple » qui mène son pays d’une main de fer. Malheur à celui qui dévie de la voie imposée. Riche de son pétrole dont les pipelines sillonnent la contrée, profitant de la guerre entre Ukrainiens et Russes, les Azéris déclenchent une offensive d’une grande brutalité au Karabakh, aidés en cela par la Turquie, qui montre à cette occasion son vrai visage.
Après avoir pleuré leur malheur auprès des instances internationales, les pontes arméniens se demandent s’il ne vaut pas mieux abandonner leurs terres ancestrales dans le Karabakh et recueillir la population chez eux. Pendant ce temps, les Géorgiens dont la fraternité avec les Arméniens était proverbiale, amorcent un rapprochement avec Poutine pour se protéger d’un éventuel coup de bâton.
Au milieu de tout ce chaos, l’argent, celui qui se change sous la table, mène grand train. Les pontes de tous les pays de la région règlent leurs véritables problèmes à coups de dollars sonnants et trébuchants. Tant pis pour les victimes collatérales.
Une guerre sans fin ?
Gaitz Minassian, dans son excellent travail, pose la question essentielle : une guerre sans fin ? Factuel, il n’hésite pas, malgré son origine, à rejeter le manichéisme que pourrait susciter son propos. Il se borne, et avec quel brio, à citer les faits avec la plus grande précision possible. Lorsque la dernière page est tournée, on se questionne sur l’avenir de la paix. Personnellement, je serais tenté de remplacer le point d’interrogation par un point d’exclamation : Arménie-Azerbaïdjan, une guerre sans fin !
Chroniqueur : Renaud Martinez
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