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Ginette Kolinka – Adieu Birkenau, scénario Jean-David Morvan & Victor Matet – dessins Cesc & Efa – mise en couleurs Roger Sole – dossier rédigé par Tal Bruttmann, Albin Michel, 27/09/2023, 1 vol. (95-XII p.), 21,90€.

Sur la couverture de l’album aux teintes bleutées, on devine dans le flou de l’arrière-plan le bâtiment de l’entrée principale du camp, avec sa porte qui avalait comme une bouche béante et insatiable les détenus. Sur les rails menant vers cette lugubre destination, deux femmes se croisent. Il y a la jeune Ginette de dix-neuf ans, cheveux rasés, aux allures de spectre, qui s’avance vers la porte. Puis à contresens, l’autre Ginette, celle qui soixante-seize ans plus tard fait le trajet inverse et se rend pour la dernière fois de son existence sur les lieux qui ont bouleversé sa vie. Lors de ce dernier voyage en Pologne, dans le cadre d’une sortie scolaire avec des élèves du collège Beaumarchais, Ginette est accompagnée de Victor Matet, journaliste de France Inter et de Jean-David Morvan, scénariste de bande dessinée. Leur objectif : réaliser un album sur Ginette Kolinka. Cette dernière veut laisser des traces ; elle est à ce titre passeuse de mémoire de la Shoah après de longues années de silence sur ce passé traumatique. En 2019, elle a d’ailleurs écrit un témoignage, Retour à Birkenau (Grasset). Le choix du titre Adieu Birkenau pour la BD ne peut que faire écho à cet ouvrage mais aussi à ses propres mots : “Maintenant c’est vous ma mémoire“. Ces derniers sont gravés sur une plaque commémorative inaugurée le 3 mars 2021 au collège Beaumarchais où elle-même a étudié dans sa jeunesse.

Les premières pages de l’album sont laissées aux souvenirs de Richard, son fils : “Quand j’étais enfant, je pensais que toutes les mamans avaient un numéro sur le bras.” Ce n’est que bien plus tard, qu’il a compris pourquoi ce n’était pas le cas. Ginette Kolinka née Cherkasky est une femme dynamique, pleine d’humour, qui fait du sport et passe son temps à rencontrer des collégiens et lycéens afin de témoigner. Mais en 1944, elle était le matricule 78599 affectée d’abord au secteur BI de Birkenau. Son crime aux yeux des nazis : être juive. Jusqu’à son arrestation, elle vit en France, d’abord à Paris en zone occupée, où le sort des Français juifs devient de plus en plus compliqué. La jeune Ginette ne comprend pas les raisons de l’antisémitisme : “On est des gens normaux non ? On a une bouche, des oreilles comme tout le monde.” Un employé de la préfecture du service des courriers vient les prévenir un soir : la famille, a été dénoncée, le mieux est de fuir la zone occupée en direction du sud. Après des péripéties, les Cherkasky se retrouvent en Avignon où ils se font passer pour des orthodoxes d’origine russe.

Le 13 mars 1944, elle est finalement arrêtée avec son père Léon, son jeune frère Gilbert et Georges son neveu. Transférés aux Baumettes à Marseille où elle croise sa future codétenue Marceline Loridan-Ivens, c’est pourtant de Drancy en avril 1944 qu’ils partent pour la Pologne dans le convoi 71, celui également de Simone Veil et des quarante-quatre enfants d’Izieu : “Derniers instants en France, derniers rires avant longtemps, aussi…” Alors, Ginette Kolinka se souvient pour témoigner : de l’enfer du trajet dans les wagons à bestiaux, de l’arrivée sur la judenrampe où les déportés sont triés par les ombres inquiétantes des kapo et des ordres vociférés en allemand. Selon des critères d’âge et de condition physique, il y a ceux qui sont aptes au travail et ceux destinés au destin tragique des chambres à gaz. C’est à cet endroit que pour la dernière fois Ginette a vu son père et son petit frère : 

Les nazis auraient de toute façon dirigé mon père et mon frère vers les faux camions de la Croix-Rouge. Mais le fait que ce soit moi qui le leur aie conseillé… ça fait 76 ans que je dois vivre chaque jour avec ça.

Ginette Kolinka guide le groupe de collégiens dans cet immense complexe à tuer, expliquant les conditions d’hygiènes déplorables, les travaux forcés, les humiliations nombreuses subies, la déshumanisation progressive et inéluctable des détenues. Dans l’album, les déportées deviennent d’ailleurs des ombres crayonnées impossibles à identifier. L’une des planches les plus émouvantes est probablement celle où l’on ne voit que le corps dénudé de Ginette, dont elle tente tant bien que mal de cacher l’intimité. On ne voit plus sa tête, mais seulement ce corps, qui pourrait être celui de tant de femmes, juives ou non, mais dont le matricule tatoué sur l’avant-bras nous rappelle à son passé. Elle ne parvient pas à expliquer comment elle a survécu à Birkenau. En novembre 1944, l’Armée Rouge entame sa vaste offensive contre le IIIe Reich. À mesure que les Soviétiques avancent, les nazis évacuent les camps, détruisant au passage de nombreuses traces de leurs crimes.

C’est pour éviter justement que ce passé ne sombre dans l’oubli que les lieux de mémoire sont conservés et que des survivants comme Ginette Kolinka continuent de témoigner. La BD est construite de flash-back entre le temps présent et des détails qui lui rappellent des épisodes de son passé de déportée. Les dessins suppléent le témoignage, prennent le relais lorsque les événements se passent de commentaires et font le pont entre les deux époques du camp. Les dernières pages sont un dossier rédigé par l’historien Tal Bruttmann qui apporte un éclairage historique sur les faits.
Lorsque nous refermons Adieu Birkenau, nous souhaiterions que tout cela ne soit jamais arrivé. À défaut, nous ne pouvons que conseiller de le lire afin que le témoignage de Ginette Kolinka continue de se transmettre aux jeunes générations.

Ginette Kolinka, qui est née sous le nom de Ginette Cherkasky le 4 février 1925 à Paris, a survécu aux atrocités du camp de concentration et d'extermination d'Auschwitz-Birkenau. Depuis le début des années 2000, elle s'engage à transmettre et préserver la mémoire de la Shoah.
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Chroniqueuse : Marine Moulins

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